Toodè
N° 64
ôôôôôôôôô
15 décembre 2005
ôôôôôôôôô
C’est tous les jours Noël … mais pourtant,
il a fallu choisir la prison.
Noël approche à grands pas… Noël, fête de
la naissance d’un enfant et fête de tous les enfants…
Pourtant, c’est l’histoire d’un enfant pas
comme les autres et malheureusement semblable à tant d’autres que je voudrais
vous raconter.
Cet enfant, il a bien grandi puisqu’il
avait environ 28 ans lorsqu’il a croisé ma route par hasard, dans un palais de
justice où j’avais la lourde responsabilité d’être membre du jury d’une session
d’assises.
Son histoire est celle d’une enfance
saccagée, brisée, enfermée dans une spirale d’abandon, histoire qui nous a été
racontée par le président de la session d’assises, car il était bien incapable
de nous la raconter lui-même.
Cette enfance, elle commence par un
placement à la DDASS dès sa naissance, par une mère de 16 ans, qui avait
elle-même été abandonnée à l’âge de 2 ans. Il connaît ensuite jusqu’à l’âge de
11-12 ans une alternance entre des périodes de vie familiale, chez sa mère avec
les 2 maris successifs de celle-ci, et des périodes dans les foyers de la DDASS
ou dans les familles d’accueil. Suite à son dernier retour à la DDASS, après
une période de vie familiale qui se solde par un échec, commencent alors, vers
14 ans, la chute infernale et la fréquentation assidue de la rue avec
l’accoutumance aux drogues, à l’alcool, aux médicaments qui le mène à 17 ans à
se droguer à l’héroïne. Une vie de galères, de pauvreté, de marginalité, de
violences, qui dure environ 10 ans, le conduit lors d’une bagarre à sectionner
avec un couteau de chasse la moelle épinière de son seul ami (ami de galère me
direz-vous, oui mais tellement précieux), ami qui se retrouve alors à vie dans
un fauteuil roulant…
Nous étions donc là pour juger ce geste.
Nous avions en face de nous deux hommes, un « accusé » quasi un
« zombie », abruti par les médicaments et autres produits de
substitution à l’héroïne et une « victime » dans son fauteuil roulant.
Difficile tâche que la nôtre !!!
Pour nous aider à décider du futur de cet
homme, nous avons entendu différentes personnes :
- une mère, qui
lors de sa déposition à la gendarmerie avait déclaré avoir 2
enfants : elle avait seulement
oublié dans le nombre celui qui était la cause de cette déposition…, qui est
partie avant la fin du 1er jour du procès et que nous n’avons même
pas revu pour le verdict,
- une
éducatrice spécialisée, amie rencontrée dans un foyer lors de son adolescence,
et qui était restée présente durant toutes les années d’errance, toujours prête
à l’aider, à l’héberger et qui là encore lui écrivait régulièrement,
- un ami, cloué
dans un fauteuil roulant pour la vie par son geste, qui disait que les rôles
auraient pu être inversés et qui avait eu l’amitié de lui envoyer des
photos de ses chiens
- des
psychiatres et psychologues qui tous unanimement parlaient d’une personnalité
déstructurée, et préconisaient pour qu’il s’en sorte une désintoxication et une
psychothérapie.
Tout au long de ces 2 journées de procès,
se posaient de façons lancinantes 2 questions :
-
que serais-je devenue si j’avais connu la même enfance d’errance et de manque
d’amour ?
-
qu’avons-nous à proposer pour aider cet homme à s’en sortir, à se soigner dans
de bonnes conditions ?
Je n’ai pas la réponse à la 1ère
question et je crois que je ne l’aurai jamais, mais j’ai la réponse à la 2nde
et elle est pour moi source de révolte. En effet, qu’avons-nous à proposer à
cet homme pour l’aider, rien si ce n’est la prison !
Normal, me direz-vous, cet homme est
dangereux pour les autres car il se promène toujours avec un couteau et a déjà
agressé des personnes dans
Et pourtant, il a fallu choisir la prison
en voulant croire de toutes nos forces qu’il aurait peut-être la chance d’y
rencontrer des intervenants extérieurs médecins, psychologues, aumônier…, qui
lui ouvriraient une espérance.
Il est facile de prôner la prison comme une
solution à tous les problèmes de délinquance, de vouloir pister les criminels
sexuels à l’aide de bracelets électroniques, de demander des mesures toujours
plus sévères pour éviter les récidives, mais saurons-nous être aussi inventifs
pour que la sanction ne soit plus une punition dégradante mais une opportunité
de changer, de s’en sortir ?
En ce temps de Noël, ma pensée va vers ce
détenu et vers tous ses frères de galère, dont les enfances ont été
massacrées.
A vous tous qui me lisez, faites que Noël
ne soit pas qu’une parenthèse dans la vie de vos enfants, mais sachez chaque
jour de l’année leur accorder le même amour et la même attention qu’en ce jour
spécial.
Marie-Hélène L.