Toodè N° 45
◊◊◊◊◊◊◊◊◊
15 mai 2004
◊◊◊◊◊◊◊◊◊
Vivre le temps présent a un goût
d'avenir.
« Un riche laboureur,
sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses Enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents:
Un trésor est caché dedans. »
A la
mort du père les fils ont tellement retourné le champ, que leur travail a
permis de produire davantage mais d’or, ils n’en trouvèrent pas !
Alors quel est donc cet héritage ?
Communément
c’est ce qui se transmet de génération en génération. L’héritage nous confirme
que nous nous inscrivons dans une histoire et que notre vie se joue, note après
note, sur la ligne musicale du temps, avec ses anticipations, ses soupirs, ses
silences et ses « Da Capo » qui obligent à revenir en arrière !
Mais
l’héritage n’aurait-il pas « des racines et des ailes » comme le
magazine de télévision qui se propose d’habiter un entre-deux ouvert entre la
proximité déterminée par l’histoire et l’ouverture qui propulse vers un monde
en devenir ? Ni jeté à l’avant
comme fuite aussi aléatoire qu’irréelle, ni tendu vers un passé porté par le
regard nostalgique, cet entre-deux est heureux s’il dit, du moment présent, la
force de son enracinement et son devenir mais surtout s’il évite deux postures
communes qui minent le champ de la modernité, la dérision et la nostalgie.
Dérision
La
dérision envahit notre paysage, avec son lot de caricatures, blagues,
calembours, attaques contre les adversaires. La dérision fait triompher
l'orgueil, nourrit le mépris et développe l’ambiguïté qui nous fait
hésiter entre contestation et consolidation de l’ordre établi ?
Nostalgie
Issue
d’une racine grecque ‘nostos’, retour et ‘algos’,
souffrance, la nostalgie pour la « chose » éternelle, pour la famille
traditionnelle, pour l’église où j’ai été baptisé, pour « l’authenticité » du monde d’hier,
sans Internet... ordonne ce que je vis aujourd’hui à une fraction du passé.
C’est là notamment que s’enracinent les fondamentalismes et les intégrismes qui
s’illusionnent de conserver la pureté d’un temps fragmentaire et révolu.
Dérision
et nostalgie répandent imperceptiblement souffrance et enfermement: la dérision
par le trouble qu’elle installe et la nostalgie par ce regard sur un passé
impossible.
Transmission en droite ligne …
L’héritage
ou la transmission, fut-ce celle de la Parole de Dieu se joue sur un temps
droit : sans courbe. Si nous n’échappons pas au temps circulaire de
l’alternance de la nuit et du jour s’appelant l’un l’autre, nous le savons
parfaitement, chaque jour et un jour nouveau.
Pour le
chercheur de Dieu il n’y a pas de retour, la vie se chante sans « Da
Capo » sinon celui de « finir en beauté » c’est à dire de tendre
vers un progrès: un messianisme s’il est juif, une espérance s’il est chrétien.
Depuis
sa «sortie» du jardin d’Eden, l’homme n’a de cesse que de retourner en ce mythique
paradis terrestre. Il oublie que cette «porte» de l’Eden franchie, le
temps roule et se déroule. Il se déploie sans retour possible, car l’ange à
l’épée flamboyante garde à tout jamais son accès interdisant tout retour
possible (Gn.3,24). Il oublie que l’acte fondateur
d’Israël dans le franchissement de la mer des roseaux se déploie sur un exode
de 40 ans, au retour impossible même aux heures les plus désespérantes de cette
longue marche qui fit regretter les oignons d’Egypte. Il oublie que l’acte fondateur
du christianisme, dans le franchissement du tombeau après 40 heures
d’ensevelissement, ouvre un chemin sur lequel l’homme est appelé à se réveiller
et à se tenir debout pour marcher, cheminer avec Celui qui l’a précédé!
Il n’est
pas seulement chemin de Croix, apte à voir surgir les regrets ou à faire rêver
à un temps jadis qui serait meilleur, il
est chemin de Passion mettant en perspectives tous les possibles. Nous voici
donc en chemin où nous devons nous sentir co-responsables
du monde, situés moins dans sa contemplation que dans sa transformation, prêts
à accueillir les événements et les hommes de ce temps.
Au-delà de
l’ivresse de l'immédiateté
Aujourd'hui,
nous vivons dans l’instantanéité, dans l’effacement des repères, le
développement des peurs au détriment des espérances. C’est pourtant dans ce monde où nous ne savons plus trop où
nous en sommes et marqué par des chamboulements prodigieux que tout héritage est destiné à être transmis encore
par deux efforts: celui de la relecture et celui de la formation.
Hier
avec Gutenberg, la révolution de l’imprimerie a bouleversé les activités
humaines. Aujourd’hui le facteur électricité et ses déclinaisons électroniques
et informatiques créent un nouveau monde étrange et virtuel. Un paysage nouveau
émerge, avec des repères et des codes qui nous donnent à vivre d’une autre
manière l’espace et le temps. Dans ce contexte l’enjeu de la transmission,
consiste moins en la maîtrise de codes nouveaux qu’en la maîtrise des revers et
des questions qu’ils occasionnent et aussi en la recherche de nouvelles
régulations pour affiner le vivre ensemble dans toutes ses dimensions
politiques, sociales, économiques, juridiques, etc. .
Sur cet
horizon énigmatique où migre peu à peu
une part significative de nos activités: commerce, voyage, culture,
communication… déployons un effort de formation, pour nous préparer aux chocs
inévitables générés par l’émergence de ce monde nouveau qui transforme la
distance entre les cultures, le rapport entre les peuples, la communication…
« Etudions l'économie, la
politique internationale, l'histoire, les sciences humaines, les religions. Ne
soyons pas des naïfs ! Ne laissons
pas les journaux télévisés devenir notre prêt à penser. Apprenons à comprendre
le monde … et à choisir les modes d'action les plus créateurs de paix et de
justice internationale. » (Philippe Richard Eglise de Vienne « Notre
Monde » Carême 2004)
Et enfin vivre en ce monde nous met à l’épreuve de la relecture. Relire et
relier pour s’ouvrir et entretenir les sources du passé qui irriguent le
présent et nourrissent l'avenir. C’est à ce prix que l'homme peut se penser en
terme de construction, de développement, d’accomplissement.
Le
travail de relecture ne consiste pas à mettre en place des souvenirs mais à
faire émerger la mémoire qui permet continuité,
durée, fidélité.
Relire
c'est pour le croyant trouver les traces brûlantes de Dieu dans sa vie. C'est
entendre ses appels, ses invitations, ses soubresauts, bref, toute l'histoire
du Dieu vivant du dedans de ma vie.
Et qu’il me soit permis de
citer ici Jean Jaurès, lâchement assassiné il y a 90 ans, le 31 juillet 1914,
alors qu'il s'apprêtait à mener une nouvelle campagne pour la paix :
''Sachons conserver de l'autel des ancêtres, non les cendres, mais la flamme''
Thierry Mollard