Toodè N° 12
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15 août 2001
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Août 2001
« Mais que fait la vie ? »
chante l’autoradio alors que défile sous la voiture l’autoroute des vacances,
surchargée et plombée par la canicule de ce début d’août ….
Que fait la vie ?
Dans ces circonstances, la question paraît incongrue et dérangeante. Ne
pourrait-on nous poser une autre question, ou mieux, nous proposer quelques
affirmations bien tranquilles et aseptisés, du genre « La vie est
belle », ou « sea, sex an sun » ?
La question, lancinante
revient au détour des refrains : Mais que fait la vie ? Le malaise
s’installe. Que faut-il décider de faire ? Couper, l’air indifférent,
l’autoradio ou se concentrer fortement sur autre chose, du style « au
fait, vous n’auriez pas envie de faire une petite pause ? ».
La chanson est longue,
et le refrain mille fois répété. Trop tard. Il va falloir l’assumer, cette
terrible question.
Oui, au fait, que fait
la vie ? C’est alors que me revient à l’esprit l’histoire de Guy, ce jeune
camerounais de 19 ans, rencontré la semaine dernière à Yaoundé. Une histoire
qui résume mille et mille autres histoires, toutes aussi anonymes et en
apparence, sans intérêt. Guy a quitté l’école en 4°. Depuis, (cela fait 4 ou 5
ans), il est « apprenti » dans la restauration. Tous les jours
(dimanche compris), il se lève vers 4h30 pour arriver sur son lieu de travail
vers 6h. Préparation des tables pour le petit-déjeuner, puis service du
petit-déjeuner, puis vaisselle, nettoyage de la salle, puis aide à la cuisine,
préparation des tables pour le déjeuner, service, nettoyage, vaisselle. Une
heure de « repos » sur place entre 14h30 et 15h30, puis préparation
des tables pour le dîner, aide en cuisine, service du dîner, vaisselle,
nettoyage, lessive. Vers 23h, tout paraît terminé. Une bonne heure de
transport, et enfin le lit… Pour environ 4h et demi de sommeil…Guy travaille
ainsi depuis quelques années. Il apprend son métier, dit-on. Il n’a reçu aucun
salaire pour ces centaines d’interminables journées enchaînées avec un peu plus
de fatigue chaque jour. Un jour (à l’automne, peut-être ?) il sera
« libéré ». Mais il est déjà usé et aigri…La vie lui paraît longue,
vue de ses 19 ans. Et que fait-elle pour Guy, cette vie ?
Que faut-il lui dire, à
Guy, icône de Dieu ? de quelle espérance faut-il lui parler ? Que
faut-il faire pour l’aider ? Toutes ces questions me ramènent aux grandes
théories sur le monde, les gens, l’égalité et la solidarité …
« Alors, on la
fait cette pause, ou quoi ? » réclament les enfants ! Ouf, sauvé
par le gong. Oublié Guy et sa vie sans espérance apparente. Les vacances, c’est
les vacances. Il faut se « ressourcer ». Mais, après la pause, on ne
remettra pas l’autoradio. A près tout, la musique « fatigue ».
Philippe Richard