Toodè N° 77
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15 janvier 2007

Thierry M
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« Je ne suis maitre que des paroles que je n’ai pas prononcées »

 

            Vulnérable, la parole chevauche, tantôt en zigzag, tantôt sabre au clair… il lui arrive aussi  d’être retenue ! Mais revenons au commencement : elle planait sur les eaux jusqu’au jour où Dieu fit l’homme lui offrant en même temps la vie et la parole ! Alors elle a percé ici ou là au cœur de quelque ardent buisson ou par la bouche de quelques prophètes au verbe haut. Et enfin à Noël, dans le silence, la parole a pris terre, comme ça, presque sans crier gare. Si jusqu’alors elle n’avait fait que passer à la hâte, à Noël elle a manifesté son désir de demeurer, d’habiter ! Elle s’est donnée sensible et durable… Les chrétiens disent que Dieu a pris lui même la forme de l’homme ! Jésus alors est devenu parole vivante afin de mener la conversation avec nous, longuement… Il a vite compris qu’il lui fallait qu’inlassablement il lui fallait nous répéter tout l’amour que Dieu a pour nous ! Une histoire qui a fait du bruit et cela continue.

 

            En ce mois de janvier dans l’effacement de Noël, son silence cède la place à l’avalanche de mots émis de bien des façons par chacun, à l’attention de chacun, sous forme de vœux. Dans les « hyper » le silence de Noël - si court, car on a travaillé fort tard- fait place à l’hymne  du « Blanc » et à la criée des soldes… Pendant ce temps  dans la petite lucarne, défilent des vœux à tirelarigot, ceux du Président, auxquels certains répondent malicieusement par des vœux de bonne retraite ; ceux des présidentiables, qui rivalisent sur leur blog, et encore ceux du pape assortis d’une bénédiction sur la ville et le monde : « ‘Dans la vérité, la paix’… c'est la devise que je soumets à la réflexion de toute personne de bonne volonté. » (Angelus du premier janvier.)

 

Quel mal nous avons avec la parole pour qu’elle soit vraie et porte la paix !

Le champ des paroles mensongères s’étend des lettres anonymes aux paroles en l’air, en passant bien sûr par la trop fameuse langue de bois, arrangée de formules approximatives, de séduction dévastatrice et d’histoires tronquées.

            J’entendais récemment un maître d’école ironisé sur la proposition de son ministre de réhabiliter le calcul mental à l’école. « C’est un mensonge de faire croire que le calcul a déserté les apprentissages de l’école! Nos enfants continuent d'apprendre à compter mentalement en classe. Monsieur le ministre ne le sait-il pas ? Ou ment-il délibérément ? »

 

            Le mensonge prend la parole, la séquestre, la torture, la transporte, la déporte. Le mensonge à peine posé, la vie dérive au pays sans foi où 10 mensonges font bientôt la table de la loi !

Je ne vais pas pointer ici la liste des mensonges célèbres… le nuage de Tchernobyl ou les armes à destruction massive… Sans compter, campagne électorale oblige, la déferlante de promesses qui ne seront jamais tenues. Récemment un ami de Pologne terminait sa lettre par ces bons mots chargés d’humour : « Au fait, si tu t'ennuyais trop, y'a un poste d'archevêque qui est libre à Varsovie » Et oui Mgr Wielgus vient de faire la triste expérimentation des paroles enfouies et masquées qui remontent à la surface et éclatent en odeurs nauséabondes et de ces paroles mensongères qui à l’épreuve de la lumière du jour ruinent des avenirs.

            François de Sales nous dit combien il est préférable de pouvoir « corriger les mensonges sur le champ par quelque explication ou réparation: une excuse véritable a bien plus de grâce et de force pour excuser, que le mensonge. » IVD Ch XXX.

            Dans mon inventaire de début d’année je n’oublie pas les paroles qui sont justement faites pour oublier… les frappées d’interdit. Un supérieur hiérarchique m’expliquait très sérieusement un jour que je pouvais penser ce que je voulais, mais que je ne pouvais pas dire ce que je pensais si ces paroles n’étaient pas conformes aux siennes ! On appelle cela la censure.

Le numéro de la revue française « Historia » aborde dans sa livraison de début d’année le thème des intégrismes, ce vieux démon qui hante toutes les religions… il est interdit de distribution en Turquie, en Egypte et en Tunisie « pour avoir publié une "image du Prophète et de ses compagnons" a-t-on indiqué de source officielle à Tunis.» Mais en fait il s’agissait d’une icône du bas moyen âge publiée dans un numéro précédent; où est l’erreur ?  

Il y a aussi les mots qui ne sortent pas car ils sont retenus on ne sait où dans un quelconque labyrinthe… autocensure ou pudeur ? Ce silence est notre réserve à laisser fonctionner les sens que Dieu nous donnés, à partager et à exprimer ce que nous ressentons et vivons au fond de nous mêmes ! Je veux parler aussi de notre incapacité à débattre, donc à discerner et choisir : toujours dramatique cette impuissance l’est d’avantage encore lorsque des élections se profilent…  Il y a encore notre résistance et timidité à formuler des hypothèses pour un monde meilleur, à les crier ou murmurer sans nous emmurer dans nos certitudes !

 

La Parole que, par Jésus, Dieu propose  au monde ne sera jamais enregistrée… Elle est toujours sur les lèvres et dans les cœurs: impossible de l’enfermer, pas même dans le Livre Sacré car Libre est la parole.

Ce 24 janvier en fêtant François de Sales nous allons voir courir la parole, comme il savait si bien le faire sur les « planches » par des jeux scéniques inspirés de la bible, dans les ruelles d’Annecy, portée par des enfants revêtus de dalmatiques griffées devant et derrière de ces mots: « Vive Dieu » tout en annonçant la leçon magistrale de catéchèse à la cathédrale. Nous allons la voir se  faufiler plus de 4 siècles avant l’ADSL sous les portes closes des Chablaisiens qui ne savaient pas à quel saint se vouer et qui trouvaient en ces tracts  catéchétiques glissés  chez eux matière à réfléchir.

 

Terminons par un vœu…

Celui de nous laisser inspirer par cet humaniste, par sa prédication qui met le Christ-Parole au centre de la vie, par cet homme de paroles, épistolier, orateur, écrivain publique qui mérite bien le titre de saint patron des journalistes, il saura nous suggérer de nous mettre au service de cette devise ‘dans la vérité, la paix’ !