Toodè N° 45

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15 mai 2004

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Vivre le temps présent a un goût d'avenir.

 

« Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses Enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents:
Un trésor est caché dedans. »

A la mort du père les fils ont tellement retourné le champ, que leur travail a permis de produire davantage mais d’or, ils n’en trouvèrent pas !

 

Alors quel est donc cet héritage ?

 

Communément c’est ce qui se transmet de génération en génération. L’héritage nous confirme que nous nous inscrivons dans une histoire et que notre vie se joue, note après note, sur la ligne musicale du temps, avec ses anticipations, ses soupirs, ses silences et ses « Da Capo » qui obligent à revenir en arrière !

 

Mais l’héritage n’aurait-il pas « des racines et des ailes » comme le magazine de télévision qui se propose d’habiter un entre-deux ouvert entre la proximité déterminée par l’histoire et l’ouverture qui propulse vers un monde en devenir ?  Ni jeté à l’avant comme fuite aussi aléatoire qu’irréelle, ni tendu vers un passé porté par le regard nostalgique, cet entre-deux est heureux s’il dit, du moment présent, la force de son enracinement et son devenir mais surtout s’il évite deux postures communes qui minent le champ de la modernité, la dérision et la nostalgie.

 

Dérision

La dérision envahit notre paysage, avec son lot de caricatures, blagues, calembours, attaques contre les adversaires. La dérision fait triompher l'orgueil, nourrit le mépris et développe l’ambiguïté qui nous fait hésiter entre contestation et consolidation de l’ordre établi ?

 

Nostalgie

Issue d’une racine grecque  nostos’, retour et ‘algos’, souffrance, la nostalgie pour la « chose » éternelle, pour la famille traditionnelle, pour l’église où j’ai été baptisé, pour  « l’authenticité » du monde d’hier, sans Internet... ordonne ce que je vis aujourd’hui à une fraction du passé. C’est là notamment que s’enracinent les fondamentalismes et les intégrismes qui s’illusionnent de conserver la pureté d’un temps fragmentaire et révolu. 

Dérision et nostalgie répandent imperceptiblement souffrance et enfermement: la dérision par le trouble qu’elle installe et la nostalgie par ce regard sur un passé impossible.

 

Transmission en droite ligne …

L’héritage ou la transmission, fut-ce celle de la Parole de Dieu se joue sur un temps droit : sans courbe. Si nous n’échappons pas au temps circulaire de l’alternance de la nuit et du jour s’appelant l’un l’autre, nous le savons parfaitement, chaque jour et un jour nouveau.

Pour le chercheur de Dieu il n’y a pas de retour, la vie se chante sans « Da Capo » sinon celui de « finir en beauté » c’est à dire de tendre vers un progrès: un messianisme s’il est juif, une espérance s’il est chrétien.

Depuis sa «sortie» du jardin d’Eden, l’homme n’a de cesse que de retourner en ce mythique paradis terrestre. Il oublie que cette «porte» de l’Eden franchie, le temps roule et se déroule. Il se déploie sans retour possible, car l’ange à l’épée flamboyante garde à tout jamais son accès interdisant tout retour possible (Gn.3,24). Il oublie que l’acte fondateur d’Israël dans le franchissement de la mer des roseaux se déploie sur un exode de 40 ans, au retour impossible même aux heures les plus désespérantes de cette longue marche qui fit regretter les oignons d’Egypte. Il oublie que l’acte fondateur du christianisme, dans le franchissement du tombeau après 40 heures d’ensevelissement, ouvre un chemin sur lequel l’homme est appelé à se réveiller et à se tenir debout pour marcher, cheminer avec Celui qui l’a précédé!

Il n’est pas seulement chemin de Croix, apte à voir surgir les regrets ou à faire rêver à un temps jadis qui serait  meilleur, il est chemin de Passion mettant en perspectives tous les possibles. Nous voici donc en chemin où nous devons nous sentir co-responsables du monde, situés moins dans sa contemplation que dans sa transformation, prêts à accueillir les événements et les hommes de ce temps.



Au-delà de l’ivresse de l'immédiateté

Aujourd'hui, nous vivons dans l’instantanéité, dans l’effacement des repères, le développement des peurs au détriment des espérances. C’est pourtant  dans ce monde où nous ne savons plus trop où nous en sommes et marqué par des chamboulements prodigieux que tout  héritage est destiné à être transmis encore par deux efforts: celui de la relecture et celui de la formation.

 

Hier avec Gutenberg, la révolution de l’imprimerie a bouleversé les activités humaines. Aujourd’hui le facteur électricité et ses déclinaisons électroniques et informatiques créent un nouveau monde étrange et virtuel. Un paysage nouveau émerge, avec des repères et des codes qui nous donnent à vivre d’une autre manière l’espace et le temps. Dans ce contexte l’enjeu de la transmission, consiste moins en la maîtrise de codes nouveaux qu’en la maîtrise des revers et des questions qu’ils occasionnent et aussi en la recherche de nouvelles régulations pour affiner le vivre ensemble dans toutes ses dimensions politiques, sociales, économiques, juridiques, etc. .

Sur cet horizon énigmatique où migre  peu à peu une part significative de nos activités: commerce, voyage, culture, communication… déployons un effort de formation, pour nous préparer aux chocs inévitables générés par l’émergence de ce monde nouveau qui transforme la distance entre les cultures, le rapport entre les peuples, la communication…


 « Etudions l'économie, la politique internationale, l'histoire, les sciences humaines, les religions. Ne soyons pas des naïfs !  Ne laissons pas les journaux télévisés devenir notre prêt à penser. Apprenons à comprendre le monde … et à choisir les modes d'action les plus créateurs de paix et de justice internationale. » (Philippe Richard Eglise de Vienne « Notre Monde » Carême 2004)


Et enfin vivre en ce monde nous met à l’épreuve de la relecture. Relire et relier pour s’ouvrir et entretenir les sources du passé qui irriguent le présent et nourrissent l'avenir. C’est à ce prix que l'homme peut se penser en terme de construction, de développement, d’accomplissement.

Le travail de relecture ne consiste pas à mettre en place des souvenirs mais à faire émerger la mémoire qui permet continuité,  durée, fidélité.

Relire c'est pour le croyant trouver les traces brûlantes de Dieu dans sa vie. C'est entendre ses appels, ses invitations, ses soubresauts, bref, toute l'histoire du Dieu vivant du dedans de ma vie.

Et qu’il me soit permis de citer ici Jean Jaurès, lâchement assassiné il y a 90 ans, le 31 juillet 1914, alors qu'il s'apprêtait à mener une nouvelle campagne pour la paix :

''Sachons conserver de l'autel des ancêtres, non les cendres, mais la flamme''

 

Thierry Mollard