Toodè N° 25
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15 septembre 2002

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« Nous sommes tous des esclavagistes... »

 

    Depuis que le Bénin a commémoré en 1992 ³La route de l¹Esclave², que des colloques internationaux (comme Durban en septembre 2001) ravivent la triste histoire d¹un commerce triangulaire honteux pour toute l¹humanité, il est de bon ton en Afrique de revendiquer au Nord des réparations. Ce Œnéo-anti-colonialisme¹ tombe à pic pour faire oublier les responsabilités

des élites locales dans le mal-développement qu¹on n¹arrive plus à cacher 40 ans après les indépendances...

Aveuglement, quand on aborde de façon manichéenne ce problème et qu¹on ne veut voir qu¹une partie des responsabilités: ³les Noirs africains avaient eux-mêmes, en dépit de quelques très rares résistances comme au Congo étroitement collaboré à cette Traite qui était une véritable entreprise commune entre Européens et Africains: un commerce fructueux et profitable à des degrés divers pour tous. Il n¹y a pas d¹acheteur sans vendeur² (A. Félix Iroko, historien béninois).

Aveu du mercantilisme: ³Bénéficier encore aujourd¹hui de compensations financières de la part de l¹Europe serait pour les Africains une manière indirecte de vendre une deuxième fois les leurs que leurs ancêtres avaient cédés aux Blancs.² (id.)

Hypocrisie, quand on sait que d¹autres formes d¹esclavage sont aujourd¹hui encore bien présentes au vu et au su de tous dans nos pays d¹Afrique...

 

Au Bénin:

C¹étaient les rois des différents royaumes de ce qu¹on a appelé le Dahomey qui vendaient leurs prisonniers aux négriers. Aujourd¹hui, l¹esclavage continue: les vidomegon (petites bonnes), l¹Etireno (ce bateau chargé d¹enfants béninois envoyés dans les plantations gabonaises et nigérianes), les convois (à pied ou en camions) d¹enfants qui continuent de traverser d¹ouest en est le Borgou pour rejoindre les plantations du Nigeria... 

³L¹appellation de Côte des Esclaves que l¹histoire nous a réservée, nous semblons la justifier aujourd'hui non par l¹esclavage des adultes, mais par celui de nos propres enfants². (Lettre des évêques du Bénin, 23.10.2001). Alors on a un peu honte pour notre Bénin quand son président, à la tribune de l¹ONU (10 mai 2002, assemblée extraordinaire pour les enfants), accusant  une certaine presse internationale² qui a sali le Bénin, essaie vigoureusement et au nom de la tradition de le blanchir ... le jour même où

la presse béninoise annonce l¹arrestation de deux trafiquants béninois et le retour au pays de 15 enfants ³dessouchés² libérés, photos à l¹appui...

 

En Mauritanie:      L¹esclavage est officiellement aboli...  depuis seulement une vingtaine d¹années (1981) ! Officieusement, les populations noires restent encore souvent sous la dépendance des maures: la tradition est plus forte que la loi.

 

Et au Soudan ?     Une association suisse rachète (pour les libérer) les enfants à des trafiquants arabes... Louable intention qui ne fait qu¹entretenir cette situation sociale et ce commerce, et les reconnaître de facto !

 

En Asie:        Les délocalisations d¹entreprises occidentales courent après les coûts bas, qui sont autant de coups bas pour la dignité humaine: les salaires sont tels car ils ne prennent en compte aucun avantage social, les enfants sont exploités et mis à contribution au détriment de leur éducation...

 

En France:          Le rapport de la mission d¹information parlementaire (13.12.2001), intitulé ³L¹esclavage en France², livre une étude détaillée des différentes formes d¹exploitation extrême d¹adultes et d¹enfants vulnérables. Il dénonce les nombreux cas ³d¹esclavage moderne² encore appelé traite des êtres humains: la  prostitution forcée, notamment des étrangères, les victimes du travail clandestin, l¹esclavage domestique, majoritairement des jeunes femmes ouest-africaines, l¹exploitation d¹enfants dans des réseaux de mendicité ou de vol, autant d¹atteintes insupportables à la dignité humaine, de formes d¹exploitation qui rendent un être humain à l’ «  état de chose « dans un pays développé comme la France »...

 

 

            Insidieusement, nous participons à ce mouvement, ne serait-ce qu¹en faisant nos courses: combien d¹articles usuels de consommation que nous achetons couramment sont fabriqués par des enfants dans le monde pauvre...

        Nous sommes complices par le silence, par ignorance, par notre propre (et volontaire ?) asservissement envers le système économique et commercial en vigueur...

 

    On a toujours tendance, historiquement, à accuser tel ou tel groupe, même si on en fait partie, et il est vrai que des français, hollandais, anglais, portugais, chinois, arabes, ont eu des responsabilités, tout comme des rois des ethnies africaines concernées... Mais cet attentat contre l¹humanité continue, et à l¹ère de la mondialisation de l¹information, nous n¹avons plus d¹excuses pour ne pas réagir... à travers nos convictions profondes quant à un partage réel des richesses du monde, nos comportements de consommateurs, nos engagements militants ...

 

    L¹esclavage, erreur historique et collective ? Peut-être. Mais c¹est aussi une question actuelle et personnelle ....

 

Stéphane Raux, mai 2002