Toodè N° 19
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15 mars  2002

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QUELLE PLACE POUR LES OGM ?

 

Ayant dernièrement travaillé sur le sujet, ô combien polémique, des OGM, j’ai été amené à me poser quelques questions… Mais déjà le profane intrigué s’interroge : « Que sont ces Organismes Génétiquement Modifiés ? Pourquoi José Bové se rue-t-il, à peine sorti de prison, sur le premier champ d’essai de maïs transgénique venu ? Que dois-je retenir de cet incompréhensible débat qui défraye les chroniques ? »

Quelques petites précisions ne sont donc pas de trop. Pour faire simple, les OGM sont des organismes cellulaires, allant de la simple bactérie au soja en passant par les poissons ou les bovins, dont le patrimoine génétique, porté par les molécules d’ADN constituant les chromosomes au niveau du noyau des cellules, a été modifié par introduction d’un ou plusieurs gènes étrangers à son espèce, appelés gènes d’intérêt. La  manipulation génétique effectuée s’appelle la transgénèse et la première a eu lieu en 1983. Je ne rentre pas dans les détails concernant ses mécanismes.

Chose fantastique, l’homme est désormais capable de bidouiller à peu près tout le vivant et   de lui conférer des avantages qu’il n’aurait jamais eus ou qu’il aurait mis des siècles à acquérir. C’est peut-être là que des interrogations commencent à émerger : problème des risques pour l’homme, pour la nature,  enjeux financiers énormes et dérives qu’ils peuvent entraîner, et par dessus tout, questions d’éthique.

Il est important de savoir avant tout que les OGM ont divers domaines d’application comme l’industrie pharmaceutique pour la synthèse de molécules destinées aux médicaments par des bactéries, mais le principal domaine est avant tout l’agriculture, au niveau de l’élevage pour augmenter la teneur en n’importe quelle substance des viandes ou du lait et surtout au niveau de la production céréalière (environ 99% de la production d’OGM mondiale). Les PGM (Plantes génétiquement modifiées) ont en effet la capacité de résister à certains insectes ou à des conditions climatiques difficiles. Jusque là, rien à reprocher, au contraire. Si l’on vient de découvrir de quoi régler le problème de la faim dans le monde, pourquoi pas ? Mais tout n’est malheureusement pas si simple.

La mise en culture en champ de PGM n’est pas sans susciter des protestations de la part des écologistes. La question des risques liés à la mise en culture n’est aujourd’hui pas encore tranchée par les scientifiques : risques d’allergie pour le consommateur,  risques de bouleversement des écosystèmes avec la résistance de nouvelles plantes à certains insectes, risques de contamination d’un gène à d’autres espèces par le flux de gènes qui permettrait à des plantes indésirables de proliférer, pour n’en citer que quelques uns. Mais ces risques sont à relativiser, tout en restant cependant prudent, d’autant plus qu’ils ne correspondent pas à ce que les écologistes anti-OGM veulent nous faire croire. Les risques ne sont pas tout, et d’autres raisons sont à invoquer pour expliquer la peur des OGM.

Peut-être l’enjeu financier que représentent ces plantes transgéniques, avec un marché annuel de plus de 380 milliards d’Euros (soit 2500 milliards de Francs pour ceux qui ne verraient pas trop) investis en grande partie dans la recherche. En effet, on assiste depuis une dizaine d’années à une véritable course aux brevets, étant donné que le génome (sorte de carte d’identité génétique) de chaque nouvelle plante peut être breveté et devenir propriété intellectuelle des firmes agroalimentaires. Les bénéfices à la clé pour ces Microsoft de l’agriculture peuvent expliquer leurs importantes pressions en faveur de l’introduction des PGM dans nos champs. D’autre part, il est significatif de préciser que la plupart des chercheurs qui travaillent sur l’analyse des risques travaillent en parallèle pour la recherche-développement de nouvelles espèces transgéniques pour le compte de grandes entreprises…

Les pays en voie de développement et les pays les moins avancés, notamment en Afrique, par ailleurs très intéressés par les OGM qui peuvent être un atout considérable pour leur agriculture et leurs besoins alimentaires, sont désireux de développer eux même de nouvelles plantes à partir d’espèces locales afin de pouvoir les breveter et de bénéficier des droits d’exploitation. Mais là encore, les multinationales font pression et ne désirent pas partager leurs techniques pour bénéficier eux-même des brevets, ou plus simplement elles les rachètent, afin de garder l’exclusivité de la vente de graines transgéniques, ce qui aurait pour conséquence de renforcer la dépendance des pays pauvres vis-à-vis aux pays riches.

Mais après tout, ne faut-il pas faire un  lien avec l’affaire de la vache folle survenue quelques années plus tôt ? José Bové ne se bat-il pas avant tout contre la mal-bouffe ? Il est vrai qu’à peine sorti d’une crise très médiatisée et polémique, on est de nouveau confronté à ce problème des plantes transgéniques. Ne faut-il pas voir là le malaise d’une société en pleine mutation qui ne sait plus trop où elle en est côté alimentation ? Face à une science à deux vitesses, avec d’un côté la recherche de nouvelles techniques et la course aux brevets, et de l’autre l’analyse des risques, qui semble être guidée par les intérêts des grandes entreprises de l’agroalimentaire ; face aux pouvoirs publics incapables de définir une véritable politique, pris entre la volonté de se maintenir dans la course aux biotechnologies menée de loin par les Etats-Unis et l’invocation du principe de précaution ; face aux écologistes qui défendent à bon droit notre mère Nature en employant des moyens très médiatiques, ne sommes-nous pas un peu déboussolés, alors que nous sommes encore en train de nous poser des questions d’ordre éthique ?

Dans un débat manichéen de ce type, nous sommes peut-être amenés à interroger notre rapport à la science. Les nouvelles technologies présentes dans tous les domaines répondent à nos besoins croissants de confort avec une vitesse fulgurante, mais se heurtent aux difficultés d’acceptation de nouvelles conceptions et de nouvelles mœurs.

Ne sommes-nous pas appelés, par rapport au clonage ou aux biotechnologies en général, à reconsidérer ce que nous attendons des sciences et à développer une réflexion qui avance parallèlement aux nouvelles découvertes ?

 

 

Jean-Sébastien Richard