La Parole est à ... Thérèse
Mais qui est Thérèse ?
 
Une 'salésienne' certainement...   
Elle est une fidèle de François de Sales.

... nous avons "détourner"
cette lettre ouverte
sur le site de  Jonas
 
... et vous voilà en directe avec elle pour apprécier cette lettre méditation et revendication...
 
 
 

Lettre ouverte à François de Sales

Cher François,
 

La première lettre du nouveau Préfet de la Congrégation du clergé datée du jour de ta fête, aura suffi à me rappeler tous ces moments précieux passés en ta compagnie, lisant et méditant tes écrits à partir de ma propre situation. Je saisis l’occasion de ce document qui m’est tombé sous les yeux pour reprendre la conversation avec toi, et choisis de le faire devant les autres, tu sauras bientôt pourquoi. Votre silence, à vous, frères et sœurs qui nous avez précédé sur la terre comme au Ciel, tu sais combien j’aime m’y confronter. à quoi le comparer ? Peut-être à un vase bien ventru qui recèlerait un parfum. Quoi de plus subtil qu’un parfum ? Il lui faut un espace vide et clos où mêler ses fragrances et se garder. Les parois en seraient le récit de vos faits et gestes, et vos textes.

Tu as été prêtre et évêque à un moment houleux de notre histoire. Notre Eglise était sous le choc de ce que Martin Luther, et, pour nous en France, Jean Calvin, venaient d’initier. Je n’en trouve que plus admirable ton travail pastoral auprès des laïcs et des religieuses. Tu ne t’es pas raidi. Tu as fait confiance, allant de l’avant. Tu as investi dans les âmes que tu sentais douées pour l’amour, tu savais que tout se jouait là, dans la simplicité, quelque soit leur état de vie, et non pas dans des stratégies de reconquête. Tiens, je n’y avais encore pas pensé : tu ne nous as pas laissé une œuvre masculine, sacerdotale, mais, de concert avec Jeanne de Chantal, une congrégation de femmes, la Visitation. Et, encore plus précieux à mon sens, tu nous as légué une œuvre littéraire unique de « direction spirituelle ». Pour tous, vraiment pour tous, du simple baptisé au plus haut responsable d’Église. Lettres admirables, dont beaucoup adressées à une femme, une laïque, lettres rassemblées en une « Introduction à la vie dévote ». « Vie dévote », « direction spirituelle », ces mots ont pris un coup de vieux ; ce qu’ils désignaient demeure.


Tu sais que je n’ai pas retrouvé le texte où tu fais remarquer que « la peur fait plus de mal que le mal ». Sait-on jamais, à force de la partager avec d’autres, je finirai peut-être par tomber sur quelqu’un qui m’indiquera d’où elle sort. En attendant, quelle vérité en cette remarque ! L’apprécier dans son contexte original serait un plus. Mais en même temps, c’est devenu comme un jeu : je constate qu’ainsi détachée, elle s’adapte merveilleusement aux circonstances, elle dit universellement cet abandon-confiance en lequel tu as définitivement placé ta vie. Tu avais dix-neuf ans, il y a précisément quatre-cent-vingt ans en ce début d’année ! Tu étais un jeune laïc ; tu l’es resté six ans encore.

Les circonstances qui m’ont ramenée à ta vigoureuse pensée, c’est la lettre d’un de tes confrères d’aujourd’hui, une lettre adressée à tous les prêtres, du monde entier. Elle m’est tombée sous les yeux du fait qu’il l’a confiée, selon un usage récent, également « aux voies mystérieuses de l’informatique ». Une lettre ouverte, en somme. D’où mon idée de réagir de même. La peur fait plus de mal que le mal. Et l’inquiétude, cette grisaille de l’esprit si banale qu’il faut des yeux entrainés pour la déceler, comment s’y prendre avec elle ? Mon premier mouvement en découvrant le contenu de ce document appartenait probablement à ce registre. Le reconnaître c’est déjà s’en défaire. S’offrir au travail de l’Esprit. Je sais que je peux compter sur ta prière.

Cette lettre, Mgr Hummes, nouveau Préfet de la Congrégation pour le clergé, la signe « Du Vatican, 24 janvier. Mémoire de Saint François de Sales ». Elle est donc sous ton patronage. Cela aurait été doux de le sentir, mais c’est plutôt la différence qui m’a frappée. Passons sur le style qui ne te ressemble guère, cette surabondance d’expressions du registre affectif demande un réel effort. J’apprécie la sobriété. « Servir les prêtres ! quel amoris officium ! », conclut-il : l’amour est dans l’agir, pour lui dans les décisions prises, c’est là que les prêtres connaîtront de quel amour ils sont aimés. Il peut compter sur ton aide fraternelle, sur ta prière. Il a aussi, comme nous tous, ton exemple et tes conseils à disposition, toi qui as été fait « Docteur », cela fait cent-quarante ans en cette année 2007 (tiens, encore un chiffre rond).
Pour son premier contact, le nouveau Préfet s’adresse aux prêtres dont il reçoit la charge dans leur lien avec Jésus, et il le fait avec les mots de Vatican II. Fort bien. Mais quel est ce je-ne-sais-quoi qui me fait tiquer ? Voyons de plus près. Après donc les salutations et les marques d’affection, il commence : « Nous sommes porteurs d’une identité spécifique qui caractérise de façon permanente notre être et notre agir : nous sommes consacrés et incorporés dans l’agir du Christ. » ; et il termine par : « Chers frères, nous sommes fiers et heureux de cette identité sacerdotale qui est la nôtre. » L’inclusion est limpide : le message porte sur l’identité et la fonction du prêtre ; il est centré sur « le Concile Vatican II (qui) a de belles expressions qui à la fois synthétisent les fonctions du prêtre et en définissent l’identité.» Suit une citation tirée du Décret sur le ministère et la vie des prêtres, presbyterorum ordinis.

Je suis en train de lire Yves Congar, et je ne peux pas ne pas retrouver ici ce saucissonnage caractéristique de l’ecclésiologie d’avant Vatican II. On a les prêtres dans leur rapport au Christ mais pas dans leur rapport aux fidèles tel que le Concile y a insisté. J’avoue que ça fait bizarre ; ça déforme les choses ; ça les coupe indûment de nous. Si le Seigneur les a « mis à part » c'est justement pour nous, pour qu’en bons intendants il nous donnent de quoi être capables de prendre, chacun et ensemble, notre part de la mission de Jésus ressuscité. L’identité et la fonction du prêtre se trouvent certes dans le décret P.O. du 28 octobre 1965, mais d’abord et avant tout, chronologiquement et théologiquement, dans la Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium édictée un an plus tôt, le 21 novembre 1964. Le décret doit être lu en cette lumière-là (c’est le cas de le dire !).
Cette Constitution dogmatique a opéré une révolution copernicienne dans la façon d’appréhender l’Église. Rien de plus normal donc que ça tangue à bord depuis. L’Église est un corps organisé, hiérarchique. Les Pères conciliaires ont voulu replacer cette hiérarchie dans le mystère de l’Église, Corps mystique du Christ et Peuple de Dieu. Cher François, je t’aime, tu le sais, pour le soin que tu as pris de la vie spirituelle des laïcs. Ton influence sur moi est discrète, elle n’en est pas moins décisive. Si je n’ai pas en mémoire tel ou tel passage des écrits que je possède, je sais que cette motion qui me pousse à travailler à ce que les laïcs vivent pleinement la grâce de leur baptême, quitte à bousculer et être compris de travers, je sais que cela me vient de la lecture de tes textes.
Mettre en œuvre la grâce du Concile, quel chantier ! On n’a pas trop de tous les bras. Les consignes et les plans des chefs de chantier ne sont pas toujours coordonnés, et il en a, du coup qui bricolent dans leur coin ; mais ce qui a été posé a été bien posé, orientant et commandant ce qui reste à faire. Quand les Pères conciliaires ont décidé de chambouler l’architecture du document concernant l’Église préparé pour leur faciliter la tâche, tu peux sourire, je t’imagine jubilant. Ils ont mis à plat le schéma et changé l’ordre des chapitres. D’abord le dessein de Dieu qui est l’union de tous les hommes, puis le Peuple qu’Il s’est constitué et qui « subsiste » dans l’Église ; alors seulement l’organisation hiérarchique, l’épiscopat et les ministères pour la croissance de tout le corps, ensuite les laïcs dont tu avais si bien compris l’importance, eux qui sont au point de contact permanent avec les brebis qui ne sont pas de la bergerie – et c’est pourquoi ils étaient l’objet de tous tes soins, tu les voulais saints, saints en plein monde ; puis, justement placé ici dans la Constitution, l’appel universel à la sainteté, suivi par le cas des religieux qui la vivent d’une manière particulière, précieuse pour tous ; enfin le caractère eschatologique de l’Église en marche et son union avec l’Église du Ciel, c’est-à-dire son inachèvement et l’appel à la conversion permanente qui s’en suit et, tout à la fin en place de choix, la Vierge Marie. Quel souffle ! Moi ça m’enthousiasme.

« Le Concile Vatican II a de belles expressions qui à la fois synthétisent les fonctions du prêtre et en définissent l’identité » écrit Claudio Hummes, et il choisit celle-ci : « Dans les temps de prière et d'adoration comme dans l'annonce de la Parole, dans l'offrande du sacrifice eucharistique et d'administration des autres sacrements comme dans les différents ministères exercés au service des hommes, les prêtres contribuent à la fois à faire grandir la gloire de Dieu et à faire avancer les hommes dans la vie divine. » (PO 2).
Est-ce là une synthèse de la fonction et de l’identité du prêtre selon Vatican II ? Très simplement et très naïvement : que le responsable des prêtres ne soit pas fichu de nous inclure, nous, baptisés, fidèles du Christ, quand il les salue pour la première fois, cela ne me plait pas. Prise isolément et choisie tout exprès, cette citation montre les prêtres face aux hommes en général, les laïcs y sont comme transparents, au mieux ramenés à ce rôle passif qui ne dit pas l’Église de Vatican II. Il en avait pourtant d’autres à disposition, elles ne lui sont pas venues à l’esprit. Prenons l’entrée « prêtres » dans la table analytique du recueil des textes du concile, on lit d’abord : « Textes majeurs : LG 28 60-63, 41 81s, SL 18 159 » etc.
En même temps, contrairement aux apparences, je comprends, c’est tellement humain, et tellement inhérent à toute institution. Et puis, dit-il, « Je ne vous cache pas que je me sens encore un peu … « novice ». Alors … prenons patience. Apprends-nous, François, à regarder ces résistances secrètes en nous et en nos responsables, lucidement, paisiblement, avec humour. Apprends-nous à discerner où travaille l’Esprit et comment, ce qu’il est possible de faire, chacun là où il est, pour être utile.

Tu sais que le vieil ami prêtre de qui j’ai eu connaissance de ta remarque que la peur fait plus de mal que le mal en cite souvent une autre, une réflexion lucide que Charles de Foucauld a partagé avec un laïc, Joseph Hours : « les mondes ecclésiastiques et laïcs s’ignorent tellement que le 1er ne peut donner à l’autre ». Depuis 1912, ça va dans le bon sens, on est bien d’accord : de gros progrès ont été faits. Je veux regarder ceux qu’ils restent à faire.
Tu te tais. Et je n’ai pas le temps, en ce moment, de me replonger dans tes écrits. Mais sur le fond, je ne pense pas dire des bêtises. Voilà, cher François, mon frère en Jésus.
Tu sais que Thérèse, ma patronne de prédilection, a demandé qu’on continue de prier pour elle après sa mort. Non pas qu’elle ait eu peur de jugement, oh non ! Mais parce qu’elle avait compris que mourir c’est entrer définitivement dans le dynamisme de Dieu-Amour. Qu’Il t’accorde à toi aussi la grâce de continuer à Le faire beaucoup aimer !
 

Thérèse