Causerie de Marcel
PERRIER, LE COL DES SAISIES, LE 28 JUILLET 2015
À l'écoute de François de Sales et du
Pape François, je veux vous présenter les quatre piliers de la
joie. Dans une conférence que j'ai faite à Paris en juin 2014,
pour le Mouvement Chrétien des retraités, et ensuite dans
plusieurs départements, je présentais déjà comme piliers de la
joie chrétienne :
-
-Une bonne relation avec la nature,
-
-Une relation paisible avec soi-même,
-
-Des relations harmonieuses avec les autres,
-
-Une relation confiante avec Dieu.
Et cet été, un an après, j'ai trouvé
cette même conviction dans la lettre encyclique du pape
François,
"Laudato si" signée le 24 mai 2015, au n° 66 ; "L'existence
humaine repose sur trois relations fondamentales, intimement
liées : la relation avec Dieu, avec le prochain, avec la terre."
Il y manque cependant un pilier, la relation avec soi-même ! Un
peu plus loin au n° 70, le pape ajoute cette relation avec
soi-même. Écoutez : "...ma relation intérieure avec moi-même,
avec les autres, avec Dieu, avec la terre...quand ces relations
sont négligées, la Bible nous dit que toute la vie est en
danger. "Un peu plus loin, au n° 210, François Bergoglio insiste
à nouveau. Il montre où est l'équilibre écologique (on peut
comprendre l'équilibre de la vie : le bonheur)" au niveau
interne, avec soi-même ; au niveau solidaire, avec les autres ;
au niveau naturel avec les autres êtres humains ; au niveau
spirituel, avec Dieu".
On peut donc dire : l'homme est un être
de relations. Et c'est dans ses relations réussies qu'il
trouvera la joie. Et lorsque ces quatre relations fondamentales
sont développées, alors sa vie s'épanouit en joie, en bonheur.
C'est ce que je veux développer en donnant des citations des
deux François, avec quelques réflexions personnelles.
I.
Premier pilier de
la joie : une bonne relation avec la nature.
1°) Ainsi commence l'encyclique du pape
François : Laudato si : "loué sois-tu, mon seigneur chantait
Saint François d'Assise. "Dans ce beau cantique, il nous
rappelait que notre maison commune est aussi comme une sœur,
avec laquelle nous partageons l'existence, et comme une mère
belle, qui nous accueille à bras ouverts". La terre : une maison
commune qui nous accueille comme une mère belle. Il n'est pas
dit comme une belle mère !
2°) François de Sales a trouvé beaucoup
de joie dans la contemplation de la nature : "il a aimé son
petit Necy , son beau lac et ses aspres montagnes, le frifilli
de feuilles, la gaie diapreure du paysage, le murmure des
ruisseaux. Tout cela l'enchante avant de l'élever à Dieu".
(Saint François de Sales Éducateur d'âmes. Chapitre IV). Il
écrivait : "ainsi l'hiver ayant fini, le printemps souriait, de
toutes parts, l'Église faisait entendre ses chants, avec la voix
de la tourterelle... et renouvelées, fleurissant de nouveau, les
vignes exhalaient leurs parfums". Dans cette lettre, il
racontait une grande célébration en plein air. On voit son
enthousiasme ! Les deux François admirent la création et voient
dans l'eau, les arbres, les fleurs, la pluie et le soleil, des
signes que nous fait le créateur. La création porte un message.
Ils savaient le lire et le transmettre... à la manière de Jésus
Christ dans un esprit de joie (cf matthieu 6 – 25- 30)".
Observez les lys des champs, comme ils croissent : ils ne
peinent, ni ne filent, et je vous le dis, Salomon lui-même, dans
toute sa gloire, n'a jamais été vêtu comme l'un deux ! Si Dieu
habille ainsi l'herbe des champs, qui est là aujourd'hui et qui
demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien plus pour vous,
gens de peu de foi". Une dame, en fin de vie, me montrait sur sa
table de nuit, un bouquet de fleurs appelées immortelles. Elle
me disait : "ce sont des immortelles, des fleurs bien de
circonstance !" On a pu, à partir de ces fleurs, parler du
passage vers l'immortalité...
3°) Concluons cette première
conviction : beaucoup de joies nous viennent de la nature.
Alors, regarde et sauvegarde la création. La regarder :
contempler sa beauté et lire les messages qu'elle nous donne. La
sauvegarder : la respecter, la protéger, la sauver. Sinon, elle
se retournera contre nous. On l'a déjà beaucoup abimée.
Attention, nous dit le Pape François :
- "Dieu pardonne toujours, les hommes quelques fois, la
nature jamais".
Le Pape François nous invite à vivre
"une sobriété heureuse" c'est-à-dire jouir avec peu. Il utilise
trois fois l'expression "sobriété heureuse" (222, 224, 225). Or,
cette expression est le titre d'un livre de monsieur Rabhy de la
Drôme. Pierre Rabhy, écrivain, penseur, pionnier de
l'agriculture biologique a écrit la légende du colibri qui lutte
contre un incendie de forêt avec l'eau que peut porter son petit
bec...Il fait sa part ! Pierre Rabhy raconte qu'en fin de
journée, avec son voisin, il regardait un grand chêne vert sur
la colline, sur fond de ciel rouge. Admirant cet arbre, Pierre
disait à son voisin :
"Regarde ! Regarde ! " Son voisin lui répond. "Oh ! Ça ferait
bien dix stères de bois !". L'un avait un regard admirateur,
l'autre avait un regard calculateur ! Quel est notre regard sur
la nature ?
Voyant la succession de la lumière du jour et des lumières de la
nuit, j'ai écrit ce refrain :
Toujours vers le couchant,
S'en ira le soleil.
Mais de l'autre côté,
Reparaîtra l'aurore.
Quand le soleil s'éteint,
Sitôt brille l'étoile.
Sur des fonds noirs ou bleus,
Chaque heure à sa clarté.
II.
Deuxième pilier :
la relation paisible avec soi-même.
1°) François de Sales insistait :
-
"Un Saint triste est un triste Saint".
-
"Il faut soigner le corps pour que l'âme s'y plaise".
-
"Vivez joyeux, tenez-vous joyeuses".
-
"Il serait dangereux de devenir mélancolique".
-
"Le chagrin nous ronge et nulle santé ne résiste aux humeurs
noires".
-
"Aussi le repos est l'acte excellent d'aimer nos corps
convenablement, ils sont une partie de notre personne, ils
seront participants de la félicité éternelle" (traité de l'amour
de Dieu chapitre 8)
"Si parfois vous vous sentez attaquée
par l'esprit de tristesse, sortez vous promener, chantez quelque
chanson dévote. Et ceci vous devez faire souvent car outre que
cela recrée, Dieu en est servi..."(Lettre à madame de Rye).
François écrit avec humour les tourments intérieurs vécus par
certains qui ont du mal à se supporter : ".En quoi font une
grande faute plusieurs qui, s'étant mis en colère, se
courroucent de s'être courroucés, entrent en chagrin de s'être
chagrinés, et ont dépit de s'être dépités ; car par ce moyen ils
tiennent leur cœur confit et détrempé en la colère : et si bien
il semble que la seconde colère ruine la première occasion qui
s'en présentera ; outre que ces colères, dépits et aigreurs que
l'on a contre soi-même tendent à l'orgueil et n'ont origine que
de l'amour-propre, qui se trouble et s'inquiète de nous voir
imparfaits (chapitre 9 de la vie dévote)."
2°) Le Pape François écrit une belle
lettre sur " la joie de l'évangile":
On y trouve cette affirmation étonnante
"notre tristesse infinie ne se soigne que par un amour infinie"
(265). Devant les drames, on comprend qu'on puisse avoir une
tristesse infinie.
Mais le Pape insiste : "les défis existent pour être relevés.
Soyons réalistes, mais sans perdre la joie, l'audace et le
dévouement plein d'espérance "(109)".
Pour lui, le fondement de cette joie et
de cette espérance, c'est l'énergie du Ressuscité déjà en nous.
(276). Il écrit aussi : "Je comprends les personnes qui
deviennent tristes à cause de graves difficultés qu'elles
doivent supporter, cependant peu à peu, il faut permettre à la
joie de la foi de commencer à s'éveiller comme une confiance
secrète mais ferme, même au milieu des soucis. Mon âme est
exclue de la paix, j'ai oublié le bonheur. Mais voici qu'à mon
cœur
je rappellerai : les faveurs du Seigneur ne sont pas finies, ni
ses compassions épuisées ; elles se renouvellent chaque matin,
grande est sa fidélité. Il est bon d'attendre en silence le
salut du seigneur". Il cite ainsi le chapitre 3 du livre des
lamentations.
SORTIR de la tristesse : espérer,
attendre...
Les deux François nous invitent à
trouver paix et joie dans la miséricorde de Dieu et nous
invitent à vivre cette miséricorde d'abord envers soi-même.
"Soyez patients avec tout le monde surtout avec vous-même
(François de Sales)".
3°) Pour actualiser encore ce message,
je vous lis ce qu'a écrit le Père Henri Caffarel
"(...) Prends garde : tu risques de
passer ta vie à contempler en toi tout ce qui n'est pas encore
purifié, tous les mobiles souvent imparfaits de tes actes,
toutes les défaillances, et d'omettre par là même de contempler
la splendeur du visage de ton Dieu, de ce visage où tu pourrais
lire un amour capable de submerger tout cœur d'homme, tous les
cœurs de tous les hommes...
Te laisser aimer, oser être heureux sans
restriction, voilà donc en quoi je voudrais que consiste ton
oraison....Au dernier jour, combien de chrétiens, laïcs ou
religieux, comprendront tout à coup avec stupeur, en découvrant
la Face de Dieu, qu'ils avaient été conviés à vivre leur vie
tous livrés à la chaleur de cet éclatant soleil, et qu'ils ont
passé leur temps, reclus, dans la cave humide de leur cœur".
(Extrait des Nouvelles lettres sur la
Prière. Henri Caffarel - Éditions Le Levain)
III.
Le troisième pilier
de la joie : les relations harmonieuses avec tous les autres.
Sartre écrivait : " l'enfer c'est les
autres", c'est parfois vrai. Mais les deux François nous disent
que le Paradis, c'est les autres. C'est finalement la grande
vérité.
1°) François de Sales a beaucoup circulé
de village en village, de ville en ville à travers toute
l'Europe.
Il a rencontré les personnes les plus
diverses dans les petites églises, les grandes écoles, les
couvents et la cour des rois et des princes.
Il a beaucoup fraternisé avec les
hôteliers dont il apprécie le service.
Il a su partout tisser des liens
d'amitié. L'amitié est chez lui un mot clé. Une question revient
dans ses examens de conscience : "quel est votre cœur à
l'endroit du prochain ?".(Nous nous dirions envers le prochain.
Nous disons l'envers et lui parle de l'endroit)!!!.
Il écrivait dans la vie dévote (3°
partie chapitre XIX), "vivez l'amitié pour communiquer des
choses vertueuses : prudence, discrétion, force, justice".
Justice : être ajusté, avoir la bonne longueur d'onde. Garder le
bon ton.
Sa devise : "faire tout par amour, rien
par force"
Il refusa la force militaire contre les
protestants.
Son amour du prochain l'amène à aimer
son époque. Il nous invite à aimer la nôtre, "La meilleure
époque pour nous, est celle où nous vivons ; car de toute
manière nous n'en avons pas d'autre".
Et cet amour du prochain et de notre
monde, nous aide à être des volontaires heureux pour faire
avancer l'histoire. François disait : "Dans la galère royale de
l'amour divin, il n'y a pas de forçats, tous les rameurs sont
volontaires".
2°) Nous trouvons le même enthousiasme
chez le Pape François. Dans " l'Évangile de la joie" il parle
du plaisir d'être un peuple (268). Il écrit :
"Pour être d'authentiques
évangélisateurs, il convient aussi de développer le goût
spirituel d'être proche de la vie des gens, jusqu'à découvrir
que c'est une source de joie supérieure (268)... Partager la vie
de tous, écouter leurs inquiétudes, collaborer matériellement et
spirituellement avec eux dans leurs nécessités, nous réjouir
avec ceux qui sont joyeux, pleurer avec ceux qui pleurent et
nous engager pour la construction d'un monde nouveau au coude à
coude avec les autres...Toutefois, non pas comme une obligation,
comme un poids qui nous épuise, mais comme un choix personnel
qui nous remplit de joie et nous donne une identité (269)".
3°) Ici, je vous raconte une histoire
vraie qui est bien dans l'esprit des deux François. C'est une
histoire écrite par le père Ceyrac, jésuite en Inde dans son
livre : "mes racines sont dans le ciel".
Il est aussi auteur d'un livre : "Tout
ce qui n'est pas donné est perdu.
Une fillette apprend que son petit frère
est très malade : une grosseur pousse dans sa tête qui est
inguérissable. Le papa désespéré dit à sa femme, seul un miracle
peut le sauver. La petite rassemble ses petites économies 1
dollar et 9 cents et part à la pharmacie acheter un miracle. Le
pharmacien n'en vend pas ! Mais un grand professeur chirurgien,
se trouve là, entend la demande de la fillette et veut voir le
petit frère. Il va à la maison, voit l'enfant malade, l'opère
rapidement. Le petit est sauvé et le miracle n'aura coûté que 1
dollar 9 cents. Cette histoire vraie est aussi symbolique :
lorsque collaborent la science et l'amour, ils réalisent de
grands miracles pour la joie des humains.
IV.
Le quatrième pilier
de la joie, une relation confiante avec Dieu
1°) François de Sales trouve une joie
fondamentale dans sa relation avec Dieu.
"Quel bonheur d'être là, seul à seul
avec Dieu. Alors l'ardent amour convertit la méditation en
contemplation".
Les lièvres (blanchots) deviennent tous
blancs l'hiver en contemplant la neige...
La contemplation crée la ressemblance.
Autre confidence :"Se sentir avec Dieu,
comme un enfant, dans les bras de sa maman, qu'elle vous porte
sur le bras droit ou le bras gauche, peu importe, laissons la
faire !"
Pour lui, Dieu est vraiment la source,
au point qu'il vit et agit en nous. François écrit cette
expérience en termes imagés.
"Ce sauveur, que fait-il en nous ?
Il redresse en nous.
Il purifie en nous.
Il corrige en nous.
Il vivifie tout.
Il aime dans le cœur.
Il anime dans la poitrine.
Il vit dans les yeux.
Il aime en la langue.
Il fait tout en tout.
Et lors, nous ne vivons point nous-mêmes
mais Jésus christ vit en nous.
Quand sera-ce, ma chère fille, mon Dieu,
quand sera-ce ?.
Ce n'est donc pas encore tout à fait
vrai, mais cela est désiré fortement.
2°) Nous trouvons la même insistance
chez le Pape François
Notre joie est dans les bras du Père :
"Cela nous fait tant de bien de revenir
à lui quand nous sommes perdus ! J'insiste encore une fois :
Dieu ne se fatigue jamais de pardonner, c'est nous qui nous
fatiguons de demander sa miséricorde. Celui qui nous a invités à
pardonner 70 x 7 fois, nous donne l'exemple : il pardonne 70 x 7
fois. Il revient nous charger sur ses épaules une fois après
l'autre... "Il nous permet de relever la tête et de recommencer
avec une tendresse qui ne nous déçoit jamais et qui peut
toujours nous rendre la joie".
-
Notre joie est de rencontrer personnellement Jésus et de
travailler avec le Ressuscité. "Qu'il est doux d'être devant un
crucifix, ou à genoux devant le Saint Sacrement et être
simplement sous son regard ...(264) " Nous savons bien qu'avec
lui la vie devient beaucoup plus pleine et qu'avec lui, il est
plus facile de trouver un sens à tout. C'est pourquoi, nous
évangélisons. Le véritable missionnaire, qui ne cesse jamais
d'être disciple, sait que Jésus marche avec lui, parle avec lui,
respire avec lui, travaille avec lui. "Il ressent Jésus vivant
avec lui au milieu de l'activité missionnaire (266)".
-
Notre joie est aussi dans la collaboration avec l'Esprit
Saint. "Pour maintenir vive l'ardeur missionnaire, Il faut une
confiance ferme en l'Esprit Saint car c'est lui qui vient au
secours de notre faiblesse...Il n'y a pas de plus grande liberté
que de se laisser convaincre par l'Esprit... lui permettre de
nous éclairer, de nous guider, de nous orienter et de nous
conduire là où il veut." (280).
3°) En
conclusion
Au chapitre 8 de la lettre aux Romains,
Saint Paul nous parle de trois gémissements :
Les gémissements de la création, des
humains et de l'Esprit Saint.
La création gémit : tremblements de
terre, pollution, inondations, orages...
Les hommes gémissent dans la faim, la
guerre, les prisons, le terrorisme, les accidents.
Dieu lui-même gémit devant les résistances des humains à ses
appels à aimer, à partager. Dieu souffre dans les drames
humains.
Ce ne sont pas les gémissements d'un
échec, d'une punition, d'une dégradation, mais les gémissements
d'un enfantement, l'enfantement d'un monde nouveau. Malgré tout,
Dieu et les hommes collaborent pour faire un monde nouveau : des
cieux nouveaux, une terre nouvelle, des hommes nouveaux.
Que nos gémissements ne soient jamais
désespérés. Dans les joies et dans les peines, enfantons
un avenir plus heureux avec courage.

Sommaire
|