INTRODUCTION A LA
VIE DEVOTE
par S
a i n t F r a n ç o i s d e S a l e s
ORAISON DEDICATOIRE
O doux Jesus,
mon Seigneur, mon Sauveur et mon Dieu, me voyci prosterné devant
vostre Majesté,
vouant et consacrant
cet escrit a vostre gloire. Animés les paroles qui y sont de vostre
benediction, a ce
que les ames
pour lesquelles je l'ay fait en puissent recevoir les inspirations sacrees
que je leur desire,
et particulierement
celle d'implorer sur moy vostre immense misericorde, affin que, monstrant
aux
autres le chemin
de la devotion en ce monde, je ne sois pas repreuve(1) et confondu eternellement
en
l'autre; ains
qu'avec eux je chante a jamais pour cantique de triomphe, le mot que de
tout mon coeur je
prononce en tesmoig nage de fidelité parmi les hazards de cette
vie mortelle: VIVE JESUS, VIVE JESUS ! Ouy, Seigneur Jesus, vives et regnes
en nos coeurs es siecles des siecles.
Ainsy soit-il
__________
AVIS AU LECTEUR
(présent dans
la seconde édition - 1609)
AU LECTEUR
Mon cher Lecteur (2),
cette seconde edition te represente ce livret reveu, corrigé et
augmenté de plusieurs
chapitres et choses
notables. Je ne l'ay point voulu enrichir d'aucunes citations, comme quelques
uns
desiroyent, parce
que les doctes n'ont pas besoin de cela, et les autres ne s'en soucient
pas. quand j'use
des paroles de 1'Escriture,
ce n'est pas tous-jours pour les expliquer, mais pour m'expliquer par icelles,
comme plus venerables
et aggreables aux bonnes ames. Je te dis le reste en la Preface. Nostre
Seigneur
soit avec toy.
AVIS AU LECTEUR
(Troisième
édition - 1610)
AU LECTEUR
Ce livret sortit
de mes mains l'an 1608. En sa seconde edition il fut augmenté de
plusieurs chapitres, mais
trois
de ceux qui estoyent en la premiere furent oubliés par mesgarde
(3). Despuis, il a esté souvent
imprimé
sans mon sceu, et, avec les impressions, les fautes s'y sont multipliees.
Or, le voyla maintenant
de nouveau
corrigé, et avec tous ses chapitres, mais tous-jours sans citations,
parce que les doctes n'en
ont pas
besoin, et les autres ne s'en soucient pas. Ouand j'use des paroles de
l'Escriture ce n'est pas
tous-jours pour
les expliquer, mais pour m'expliquer par icelles, comme plus aymables et
venerables. Si
Dieu m'exauce, tu en feras bien ton prouffit, et recevras beaucoup de benedictions.
P R E F A C E
Mon cher Lecteur,
je te prie de lire cette Preface pour ta satisfaction et la mienne.
La bouquetiere Glycera
sçavoit si proprement diversifier la disposition et le meslange
des fleurs, qu'avec
les mesmes fleurs
elle faisoit une grande varieté de bouquetz, de sorte que le peintre
Pausias demeura
court, voulant contrefaire
a l'envi cette diversité d'ouvrage, car il ne sceut changer (4)
sa peinture en tant
de façons comme
Glycera faisoit ses bouquetz (5) ainsy le Saint Esprit dispose et arrange
avec tant de
varieté les
enseignemens de devotion, qu'il donne par les langues et les plumes de
ses serviteurs, que la
doctrine estant tousiours
une mesme, les discours neanmoins qui s'en font sont bien differens, selon
les
diverses façons
desquelles ilz sont composés. Je ne puis, certes, ni veux, ni dois
escrire en cette
Introduction que ce
qui a des-ja esté
publié par nos predecesseurs sur ce sujet; ce sont les mesmes fleurs
que je te presente,
mon Lecteur, mais
le bouquet que j'en ay fait sera different des leurs, a rayson de la diversité
de
l'ageancement dont
il est façonné.
Ceux qui ont traitté
de la devotion ont presque tous regardé l'instruction des personnes
fort retirees du
commerce du monde,
ou au moins ont enseigné une sorte de devotion qui conduit a cette
entiere retraitte.
Mon intention est
d'instruire ceux qui vivent es villes, es mesnages, en la cour, et qui
par leur condition
sont obligés
de faire une vie commune quant a l'exterieur, lesquelz bien souvent, sous
le pretexte d'une
pretendue impossibilité,
ne veulent seulement pas penser a l'entreprise de la vie devote, leur estant
advis
que, comme aucun animal
n'ose gouster de la graine de l'herbe nommee palma Christi, aussi nul homme
ne doit pretendre
a la palme de la pieté chrestienne tandis qu'il vit emmi la presse
des affaires temporelles.
Et je leur monstre
que comme les meres perles vivent emmi la mer sans prendre aucune goutte
d'eau
marine (6), et que
vers les isles Chelidoines il y a des fontaines d'eau bien douce au milieu
de la mer(7), et
que les
piraustes volent dedans
les flammes sans brusler leurs aisles (8), ainsy peut une ame vigoureuse
et
constante vivre au
monde sans recevoir aucune humeur mondaine, treuver des sources d'une douce
pieté
au milieu des ondes
arneres de ce siecle, et voler entre les flammes des convoitises terrestres
sans brusler
les aisles des sacrés
desirs de la vie devote. Il est vray que cela est malaysé, et c'est
pourquoy je desirerois
que plusieurs y employassent
leur soin avec plus d'ardeur qu'on n 'a pas fait jusques a present; comme,
tout foible que je
suis, je m'essaye par cet escrit de contribuer quelque secours a ceux qui
d'un coeur
genereux feront cette
digne entreprise.
Mais ce n' a toutefois pas este par mon election ou inclination que cette Introduction sort en public :
une ame vrayement pleine
d'honneur et de vertu ayant, il y a quelque tems, receu de Dieu la grace
de
vouloir aspirer a
la vie devote, desira ma particuliere assistance pour ce regard(9) et moy
qui luy avois
plusieurs sortes de
devoirs, et qui avois long tems auparavant remarqué en elle beaucoup
de disposition
pour ce dessein, je
me rendis fort soigneux de la bien instruire , et l'ayant conduitte par
tous les exercices
convenables a son
desir et sa condition, je luy en laissay des memoires par escrit, affin
qu'elle y eust
recours a son besoin.
Elle, despuis, les communiqua a un grand, docte et devot Religieux (10),
lequel
estimant que plusieurs
en pourroyent tirer du prouffit, m'exhorta fort de les faire publier ce
qui luy fut
aysé de me
persuader, parce que son amitié avoit beaucoup de pouvoir sur ma
volonté, et son jugement,
une grande authorité
sur le mien.
Or, affin que le tout
fust plus utile et aggreable, je l'ay reveu et y ay mis quelque sorte d'entresuite,
adjoustant plusieurs
advis et enseignemens propres a mon intention. Mais tout cela je l'ay fait
sans nulle
sorte presque de loysir;
c'est pourquoy tu ne verras rien icy d'exacte, ains seulement un amas
d'advertissemens de
bonne foy que j'explique par des paroles claires et intelligibles, au moins
ay-je desiré
de le faire. Et quant
au reste des ornemens du langage, je n'y ay pas seulement voulu penser,
comme
ayant asses d'autres
choses a faire.
J'addresse mes paroles
a Philothee, parce que, voulant reduire a l'utilité commune de plusieurs
ames ce
que j'avois premierement
escrit pour une seule, je l'appelle du nom commun a toutes celles qui veulent
estre devotes ; car
Philothee veut dire amatrice ou amoureuse de Dieu(11).
Regardant donq en tout
ceci une ame qui, par le desir de la devotion, aspire a l'amour de Dieu,
j'ay fait
cette Introduction
de cinq Parties, en la premiere desquelles je m'essaye, par quelques remonstrances
et
exercices, de convertir
le simple desir de Philothee en une entiere resolution, qu'elle fait a
la parfin apres
sa confession generale
par une solide protestation, suivie de la tressainte Communion, en laquelle,
se
donnant a son Sauveur
et le recevant, elle entre heureusement en son saint amour. Cela fait,
pour la
conduire plus avant,
je luy monstre deux grans moyens de s'unir de plus en plus a sa divine
Majesté :
l'usage des Sacremens
par lesquelz ce bon Dieu vient a nous, et la sainte oraison par laquelle
il nous tire a
soy; et en ceci j'employe
la seconde Partie. En la troisiesme, je luy fay voir comme elle se doit
exercer en
plusieurs vertus plus
propres a son avancement, ne m'amusant pas sinon a certains advis particuliers
qu'elle n'eust pas
sceu aysement prendre ailleurs ni d'elle mesme. En la quatriesme, je luy
fay descouvrir
quelques embusches
de ses ennemis, et luy monstre comme elle s'en doit demesler et passer
outre Et
finalement, en la
cinquiesme Partie, je la fay un peu retirer a part soy pour se rafraischir,
reprendre
haleine et reparer
ses forces, affin qu'elle puisse par apres plus heureusement gaigner pais
et s'avancer en
la vie devote.
Cet aage est fort bigearre,
et je prevois bien que plusieurs diront qu'il n'appartient qu'aux religieux
et gens
de devotion de faire
des conduittes si particulieres a la pieté ; qu'elles requierent
plus de loysir que n'en
peut avoir un Evesque
chargé d'un diocese si pesant comme est le mien ; que cela distrait
trop
l'entendement qui
doit estre employé a choses importantes. Mais moy,
mon cher Lecteur, je
te dis avec le grand saint Denis (12), qu'il appartient principalement
aux Evesques de
perfectionner les
ames , d'autant que leur ordre est le supreme entre les hommes,
comme celuy des Seraphins
entre les Anges, si que leur loysir ne peut estre mieux destiné
qu'a cela. Les
anciens Evesques et
Peres de l'Eglise estoyent pour le moins autant affectionnés a leurs
charges que nous,
et ne laissoyent pourtant
pas d'avoir soin de la conduitte particuliere de plusieurs ames qui recouroyent
a
leur assistance, comme
il appert par leurs epistres ; imitans en cela les Apostres qui, emmi la
moisson
generale de l'univers,
recueilloyent neanmoins certains espis plus remarquables avec une speciale
et
particuliere affection.
Qui ne sçait que Timothee, Tite, Philemon, Onesime, sainte Thecle,
Appia estoyent
les chers enfans du
grand saint Paul, comme saint Marc et sainte Petronille de saint Pierre
? sainte
Petronille, dis-je,
laquelle, comme preuvent doctement Baronius (13) et Galonius (14), ne fut
pas fille
charnelle, mais seulement
spirituelle, de saint Pierre. Et saint Jean n'escrit il pas une de ses
Epistres
canoniques (15) a
la devote dame Electa ?
C'est une peyne, je
le confesse, de conduire les ames en particulier, mais une peyne qui soulage,
pareille a
celle des moissonneurs
et vendangeurs, qui ne sont jamais plus contens que d'estre fort embesoignés
et
chargés ; c'est
une travail qui délasse et avive le coeur par la suavité
qui en revient a ceux qui
l'entreprennent, comme
fait le cinamome ceux qui le portent parmi l'Arabie heureuse. On dit (16)
que la
tigresse ayant retreuvé
l'un de ses petitz, que le chasseur luy laisse sur le chemin pour l'amuser
tandis qu'il
emporte le reste de
la littee, elle s'en charge pour gros qu'il soit, et pour cela n'en est
point plus pesante,
ains plus legere a
la course qu'elle fait pour le sauver dans sa tasniere, l'amour naturel
l'allegeant par ce
fardeau. Combien plus
un coeur paternel prendra-il volontier en charge une ame qu'il aura rencontree
au
desir de la sainte
perfection, la portant en son sein, comme une mere fait son petit enfant,
sans se ressentir
de ce faix bien aymé.
Mais il faut sans doute que ce soit un coeur paternel; et c'est pourquoy
les Apostres
et hommes apostoliques
appellent leurs disciples non seulement leurs enfans, mais encor plus tendrement
leurs petitz enfans.
Au demeurant, mon cher
Lecteur, il est vray que j'escris de la vie devote sans estre devot, mais
non pas
certes sans desir
de le devenir, et c'est encor cette affection qui me donne courage a t'en
instruire ; car,
comme disoit un grand
homme de lettres (17), la bonne façon d'apprendre c'est d'estudier,
la meilleure
c'est d'escouter,
et la tresbonne c'est d'enseigner. Il advient souvent, dit saint Augustin,
escrivant a sa
devote Florentine(18),
que " l'office de distribuer sert de merite pour recevoir, " et l'office
d'enseigner, de
fondement pour apprendre.
Alexandre fit peindre
la belle Campaspé (19), qui luy estoit si chere, par la main de
l'unique Apelles ;
Apelles, forcé
de considerer longuement Campaspé, a mesure qu'il en exprimoit les
traitz sur le tableau en
imprima l'amour en
son coeur, et en devint tellement passionné, qu'Alexandre l'ayant
reconneu et en
ayant pitié
la luy donna en mariage, se privant pour l'amour de luy de la plus chere
amie qu'il eust au
monde
: "En quoy, " dit Pline
(20), "il monstra la grandeur de son coeur, autant qu'il eust fait par
une bien grande
victoire. " Or, il
m'est advis, mon Lecteur mon ami qu estant Evesque, Dieu veut que je peigne
sur les
coeurs des
personnes non seulement
les vertus communes, mais encores sa treschere et bien aymee devotion et
moy
je l'entreprens volontier,
tant pour obeir et faire mon devoir , que pour l'esperance que j 'ay qu'en
la
gravant dans l'esprit
des autres, le mien a l'adventure en deviendra saintement amoureux. Or,
si jamais sa
divine Majesté
m'en void vivement espris , elle me la donnera en mariage eternel. La belle
et chaste
Rebecca , abbreuvant
les chameaux d'Isaac, fut destinee pour estre son espouse, recevant de
sa part des
pendans d'oreilles
et des brasseletz d'or (21) ; ainsy je me prometz de l'immense bonté
de mon Dieu que,
conduisant ses cheres
brebis aux eaux salutaires de la devotion, il rendra mon ame son espouse,
mettant
en mes oreilles les
paroles dorees de son saint amour, et en mes bras la force de les
bien executer, en quoy
gist l'essence de la vraye devotion, que je supplie sa Majesté me
vouloir octroyer
et a tous les enfans
de son Eglise; Eglise a laquelle je veux a jamais sousmettre mes escritz,
mes actions,
mes paroles, mes volontés
et mes pensees.
A Annessy, le jour sainte Magdeleine, 1609 (22).
PREMIERE PARTIE DE L'INTRODUCTION CONTENANT LES ADVIS ET EXERCICES REQUIS POUR CONDUIRE L'AME JUSQUES A UNE ENTIERE RESOLUTION DE L'EMBRASSER
CHAPITRE PREMIER DESCRIPTION DE LA VRAYE DEVOTION
Vous aspires
a la devotion, treschere Philothee, parce qu'estant Chrestienne vous sçaves
que c'est une
vertu extremement
aggreable a la divine Majesté mais, d'autant que les petites fautes
que l'on commet au
commencement
de quelque affaire s'aggrandissent infiniment au progres et sont presque
irreparables a la
fin, il faut
avant toutes choses que vous sçachies que c'est que la vertu de
devotion ; car, d'autant qu'il n'y
en a qu'une vraye,
et qu'il y en a une grande quantité de fauses et vaynes, si vous
ne connoissies quelle
est la vraye, vous
pourries vous tromper et vous amuser a suivre quelque devotion impertinente
et
superstitieuse.
Arellus peignoit toutes
les faces des images qu'il faisoit a l'air et ressemblance des femmes qu'il
aymoit(23), et chacun
peint la devotion selon sa passion et fantaisie.
Celuy qui est adonné
au jeusne se tiendra pour bien devot pourveu qu'il jeusne, quoy que son
coeur soit
plein de rancune;
et n'osant point tremper sa langue dedans le vin ni mesme dans l'eau, par
sobrieté, ne se
feindra point de la
plonger dedans le sang du prochain par la mesdisance et calomnie. Un autre
s'estimera
devot parce qu'il
dit une grande multitude d'oraysons tous les jours, quoy qu'apres cela
sa langue se fonde
toute en paroles fascheuses,
arrogantes et injurieuses parmi ses domestiques et voysins. L'autre tire
fort
volontier l'aumosne
de sa bourse pour la donner aux pauvres, mays il ne peut tirer la douceur
de son
coeur pour pardonner
a ses ennemis; l'autre pardonnera a ses ennemis, mais de tenir rayson a
ses
creanciers, jamais
qu'a vive force de justice. Tous ces gens-la sont vulgairement tenus pour
devotz, et ne
le sont pourtant nullement.
Les gens de Saül cherchoyent David en sa mayson; Michol ayant mis
une
statue dedans un lict
et l'ayant couverte des habillemens de David, leur fit accroire que c'estoit
David
mesme qui dormoit
malade (24) ainsy beaucoup de personnes se couvrent de certaines actions
exterieures
appartenantes a la
sainte devotion, et le monde croit que ce soyent gens vrayement devotz
et spirituelz;
mais en venté
ce ne sont que des statues et fantosmes de devotion.
La vraye et vivante
devotion, o Philothee, presuppose l'amour de Dieu, ains elle n'est autre
chose qu'un
vray amour de Dieu,
mais non pas toutefois un amour tel quel : car, entant que l'amour divin
embellit
nostre ame, il s'appelle
grace, nous rendant aggreables a sa divine Majesté; entant qu'il
nous donne la
force de bien faire,
il s'appelle charité ; mais quand il est parvenu jusques au degré
de perfection auquel il
ne nous fait pas seulement
bien faire, ains nous fait operer soigneusement, frequemment et promptement,
alhors il s'appelle
devotion. Les austruches ne volent jamais; les poules volent, pesamment
toutefois,
bassement et rarement;
mais les aigles, les colombes et les arondelles volent souvent, vistement
et
hautement. Ainsy les
pecheurs ne volent point en Dieu, ains font toutes leurs courses en la
terre et pour la
terre; les gens de
bien qui n'ont pas encor atteint la devotion volent en Dieu par leurs bonnes
actions, mais
rarement, lentement
et pesamment; les personnes devotes volent en Dieu frequemment, promptement
et
hautement. Bref, la
devotion n'est autre chose qu'une agilité et vivacité spirituelle
par le moyen de laquelle
la charité
fait ses actions en nous, ou nous par elle, promptement et affectionnement;
et comme il
appartient a la charité
de nous faire generalement et universellement prattiquer tous les commandements
de Dieu, il appartient
aussi a la devotion de les nous faire faire promptement et diligemment.
C'est
pourquoy celuy qui
n'observe tous les commandemens de Dieu ne peut estre estimé ni
bon ni devot,
puisque pour estre
bon il faut avoir la charité, et pour estre devot il faut avoir,
outre la charité, une grande
vivacité et
promptitude aux actions charitables.
Et d'autant que la
dévotion gist en certain degré d'excellente charité,
non seulement elle nous rend
promptz et actifz
etdiligens a l'observation de tous les commandements de Dieu ; mais outre
cela, elle
nous provoque a faire
promptement et affectionnement le plus de bonnes oeuvres que nous pouvons,
encores qu'elles ne
soyent aucunement commandees , ains seulement conseillees. ou inspirees.
Car tout
ainsy qu'un homme
qui est nouvellement gueri de quelque maladie chemine autant qu'il luy
est necessaire,
mais lentement et
pesamment, de mesme le pecheur estant gueri de son iniquité, il
chemine autant que
Dieu luy commande,
pesamment neanmoins et lentement jusques a tant qu'il ayt atteint a la
devotion ; car
alhors, comme un homme
bien sain, non seulement il chemine, mais. il court et saute en la voÿe
des
commandemens de Dieu(25),
et, de plus, il passe et court dans les sentiers des conseilz et inspirations
celestes. En fin,
la charité et la devotion ne sont non plus differentes l'une de
l'autre que la flamme l'est du
feu, d'autant que
la charité estant un feu spirituel, quand elle est fort enflammee
elle s'appelle devotion : si
que la devotion n'adjouste
rien au feu de la charité, sinon la flamme qui rend la charité
prompte, active et
diligente, non seulement
a l'observation des commandemens de Dieu, mais a l'exercice des conseilz
et
inspirations celestes.
1. - 1 Co 9,27
2. - AU LECTEUR, SUR CETTE SECONDE EDITION
J'ay beaucoup adjousté
de choses en cette seconde edition pour satisfaire aux prieres qu'on m'en
a faites.
J'ay aussi changé
quelques petites choses, non point au principal...
Mon Lecteur, cette
seconde edition te [represente] fera voir, sil te plait, ce livret corrigé
et augmenté [en
beaucoup d'endroitz]
de plusieurs chapitres.[Je n'ay pas voulu citer les autheurs... ] Je ne
l'ay pas voulu
enrichir d'aucunes
citations, comme quelques uns desiroyent, par ce que [si les doctes le
lisent, ilz
connoistront asses
que ce que je dis... ] les doctes n'en ont pas besoin, et les autres ne
s'en soucient pas.
En ce sujet, la simplicité
est le plus riche ornement qu'on puisse employer. [Si quelqu'esprit curieux
s en
fasche... ] J'use
souvent des motz de l'Escnture, non pour les expliquer, mais pour m'expliquer
par iceux,
comme plus [sains]
venerables et utiles aux ames devotes. Je te dis tout le reste en la Praeface.
Nostre
Seigneur soit a jamais
avec toy.
3. - Les chapitres
, oubliés par mesgarde dans la seconde édition sont les chap.
XXIII,XXXVIII et
XXXIX de la seconde
Partie de l'Edition Princeps :De la bien-seance des habits; Des desirs;
Qu'il faut
avoir l'esprit juste
et raisonnable
4. - La bouquetiere
Glycera changeoit en tant de sortes la disposition et le meslange des fleurs
qu'elle
mettoit en ses bouquetz,
que le peintre Pausias demeura court, voulant contrefaire a l'envi cette
varieté
d'ouvrage, car il
ne sceut diversifier
5. - Pline Hist Nat XXI,2
6. - Les données
fantaisistes des anciens, et notamment dePline ( Historia naturalis , lib.
IX, chp.
XXXV) sur les huîtres
à perles, demeurèrent accréditées pendant de
longs siècles. Mattioli les soutenait
encore dans ses Commentaria
in VI Libros Dioscoridis (Venetiis, Valgrisi 1565 ), lib. Il, cap. iv.
7. - Pline Hist Nat II,103
8. - Arist. HistAnim V,19; Pline Hist Nat XI,36
9. - Voir à
la Préface de cette nouvelle Edition, les détails donnés
sur Mme de Charmoisy et l'origine de
l'Ilntroduction a
la Vie Devote.
10. - " Ce fut au R.
P. Jean Forier, theologien de la Compagnie de Jesus, lors Recteur du College
de
Chambery." (Note marginale
de l'édition de 1609.)
11. - Variante ::et l'ame qui desire d'aymer Dieu commence dès-ja d'en estre amoureuse. (Ms.)
Je regarde par tout
mon dessein, qui est de conduire a la vie devote un ame qui est liee par
sa vocation au
commerce du monde
; et pour cela, bien que je m'essaye de la retirer du peché, si
est ce neanmoins que
je...
Je regarde par tout une [ bonne] ame qui a des-ja un bon desir de servir Dieu..
Regardant donq par
tout un'ame de cette sorte-la, c'est a dire desireuse d'aymer Dieu, [je
la prens comme
par la main, et la
conduis le plus avant que je puis en la vie devote et en cet amour divin,
jusques au point
auquel, par les advis
et exercices que je luy propose... ] j'ay fayt mon Introduction de cinq
Parties, en la
premiere desquelles
je [ la fay entierement] m'essaye de convertir son simple desir en une[
parfaitte ]
entiere resolution,
a laquelle je la conduis par plusieurs exercices et advis propres a cela,
et la luy fay faire
en fin par une confession
generale [et] protestation fort authentique et solemnelle, confirmee par
la Ste
Communion, en laquelle
elle se donne a Dieu et entr'en son amour. Cela fait, je luy monstre en
la seconde
Partie les moyens
par lesquelz [elle peut] (Ms.)
12. - De Eccles. Hier. V,6,7
13. - Ad annum 69.
14. - Galonius Antonio,
Oratorien italien, né vers 1557, mort en 1605. Historia delle sainte
Vergini
Romane. Rorna, Donangeli,
1591.
15. - Ep. II
16. - Pline Hist Nat VIII, 18.
17. - Peut-être
ce passage contient-il une allusion au texte de Quintilien: Mox cum robore
dicendi crescet
etiam eruditio : A
mesure que s'accroîtra la puissance de la parole, s'accroîtra
l'érudition. ( Inst. orat., lib.
VIII, proern.)
18. - Ep 266,1
19. - C'est par suite
d'une méprise des imprimeurs qu'on lisait jusqu'ici Compaspé.
Toutes les éditions de
Pline portent Campaspe,
orthographe confirmée par le Pancaste d'Elien (Hist, var., lib.
XII, Cap.
XXXIV) et le Pacate
de Lucien (Imag., § VII).
20. - Hist Nat 35, 10
21. - Gn 24,20
22. - C'est par erreur
que la Préface de la seconde édition, reproduite dans toutes
les éditions postérieures,
est, à partir
de 1616, datée du jour de sainte Magdeleine 1608'. Cette méprise
est d'autant plus saillante
que la Préface
de l'Edition Princeps se trouve datée du " 8 aoust 1608".
23. - Pline, Hist Nat 35,10
24. - 1 R 19,11
25. -Ps 118,32
CHAPITRE II
PROPRIETÉ ET
EXCELLENCE DE LA DEVOTION
Ceux qui descourageoyent
les Israélites d'aller en la terre de promission leur disoyent que
c'estoit un pais
qui devoroit les habitans,
c'est a dire, que l'air y estoit si malin qu'on n'y pouvoit vivre longuement,
et
que reciproquement
les habitans estoyent des gens si prodigieux qu'ilz mangeoyent les autres
hommes
comme
des locustes (1) :
ainsy le monde, ma chere Philothee, diffame tant qu'il peut la sainte devotion,
depeignant les personnes
devotes avec un visage fascheux, triste et chagrin, et publiant que la
devotion
donne des humeurs
melancholiques et insupportables. Mais comme Josué et Caleb protestoyent
que non
seulement la terre
promise estoit bonne et belle, ains aussi que la possession en seroit douce
et aggreable
(2), de mesme le Saint
Esprit, par la bouche de tous les Saintz, et Nostre Seigneur par la sienne
mesme
(3) nous asseure que
la vie devote est une vie douce, heureuse et amiable.
Le monde voit que les
devotz jeusnent, prient et souffrent les injures, servent les malades,
donnent aux
pauvres, veillent,
contraignent leur cholere, suffoquent et estouffent leurs passions, se
privent des playsirs
sensuelz et font telles
et autres sortes d'actions, lesquelles en elles mesmes et de leur propre
substance et
qualité sont
aspres et rigoureuses; mais le monde ne voit pas la devotion interieure
et cordiale laquelle rend
toutes ces actions
aggreables, douces et faciles. Regardés les abeilles sur le thim
elles y treuvent un suc
fort amer, mais en
le sucçant elles le convertissent en miel, parce que telle est leur
proprieté. O mondains,
les ames devotes treuvent
beaucoup d'amertume en leurs exercices de mortification, il est vray, mais
en
les faisant elles
les convertissent en douceur et suavité. Les feux, les flammes,
les roues et les espees
sembloyent des fleurs
et des parfums aux Martyrs, parce qu'ilz estoyent devotz ; que si la devotion
peut
donner de la douceur
aux plus cruelz tourmens et a la mort mesme, qu'est-ce qu'elle fera pour
les actions
de la vertu ?
Le sucre adoucit les
fruitz mal meurs et corrige la crudité et nuisance de ceux qui sont
bien meurs ; or, la
devotion est le vray
sucre spirituel, qui oste l'amertume aux mortifications et la nuisance
aux consolations :
elle oste le chagrin
aux pauvres et l'empressement aux riches, la desolation a l'oppressé
et l'insolence au
favorisé, la
tristesse aux solitaires et la dissolution a celuy qui est en compaignie
; elle sert de feu en hiver
et de rosee en esté,
elle sçait abonder et souffrir pauvreté, elle rend esgalement
utile l'honneur et le
mespris, elle reçoit
le playsir et la douleur avec un coeur presque tous-jours semblable, et
nous remplit
d'une suavité
merveilleuse.
Contemplés l'eschelle
de Jacob (4) (car c'est le vray pourtrait de la vie devote) : les deux
costés entre
lesquelz on monte,
et ausquelz les eschellons se tiennent, representent l'orayson qui impetre
l'amour de
Dieu et les Sacremens
qui le conferent; les eschellons ne sont autre chose que les divers degrés
de charité
par lesquelz l'on
va de vertu en vertu, ou descendant par l'action au secours et support
du prochain, ou
montant par la contemplation
a l'union amoureuse de Dieu. Or voyes, je vous prie, ceux qui sont sur
l'eschelle ce sont
des hommes qui ont des coeurs angeliques, ou des Anges qui ont des cors
humains; ilz
ne sont pas jeunes,
mais ilz le semblent estre, parce qu'ilz sont pleins de vigueur et agilité
spirituelle ; ilz
ont des aisles pour
voler, et s'eslancent en Dieu par la sainte orayson, mais ilz ont des pieds
aussi pour
cheminer avec les
hommes par une sainte et amiable conversation ; leurs visages sont beaux
et gais,
d'autant qu'ilz reçoivent
toutes choses avec douceur et suavité; leurs jambes, leurs bras
et leurs testes sont
tout a descouvert,
d'autant que leurs pensees, leurs affections et leurs actions n'ont aucun
dessein ni motif
que de plaire a Dieu.
Le reste de leurs cors est couvert, mais d'une belle et legere robbe, parce
qu'ilz usent
voyrement de ce monde
et des choses mondaines, mais d'une façon toute pure et sincere,
n'en prenans
que legerement ce
qui est requis pour leur condition telles sont les personnes devotes.
Croyés moy,
chere Philothee, la devotion est la douceur des douceurs et la reyne des
vertus, car c'est la
perfection de la charité.
Si la charité est un lait, la devotion en est la cresme ; si elle
est une plante, la
devotion en est la
fleur ; si elle est une pierre pretieuse, la devotion en est l'esclat ;
si elle est un baume
pretieux, la devotion
en est l'odeur, et l'odeur de suavité qui conforte les hommes et
resjouit les Anges.
CHAPITRE III
QUE LA DEVOTION EST CONVENABLE
A TOUTES SORTES DE VOCATIONS ET PROFESSIONS
Dieu commanda en la
creation aux plantes de porter leurs fruitz, chacune selon son genre (5)
: ainsy
commande-il aux Chrestiens,
qui sont les plantes vivantes de son Eglise, qu'ilz produisent des fruitz
de
devotion, un chacun
selon sa qualité et vacation. La devotion doit estre differemment
exercee par le
gentilhomme, par l'artisan,
par le valet, par le prince, par la vefve, par la fille, par la mariee;
et non
seulement
cela, mais il faut
accommoder la prattique de la devotion aux forces, aux affaires et aux
devoirs de chaque
particulier. Je vous
prie, Philothee, seroit il a propos que l'Evesque voulust estre solitaire
comme les
Chartreux ? Et si
les mariés ne vouloient rien amasser non plus que les Capucins,
si l'artisan estoit tout le
jour a l'eglise comme
le religieux , et le religieux tous-jours (6) exposé a toutes sortes
de rencontres pour le
service du prochain,
comme l'Evesque, cette devotion ne seroit elle pas ridicule, desreglee
et insupportable
? Cette faute neanmoins
arrive bien souvent, et le monde qui ne discerne pas, ou ne veut pas discerner,
entre la devotion
et l'indiscretion de ceux qui pensent estre devotz, murmure et blasme la
devotion,
laquelle ne peut mais
de ces desordres.
Non, Philothee, la
devotion ne gaste rien quand elle est vraye, ains elle perfectionne tout,
et lhors qu'elle
se rend contraire
a la legitime vacation de quelqu'un, elle est sans doute fausse. "L'abeille,"
dit Aristote(7),
"tire son miel des
fleurs sans les interesser, " les laissant entieres et fraisches comme
elle les a treuvees ;
mais la vraye devotion
fait encor mieux, car non seulement elle ne gaste nulle sorte de vocation
ni
d'affaires, ains au
contraire elle les orne et embellit. Toutes sortes de pierreries jettees
dedans le miel en
deviennent plus esclatantes,
chacune selon sa couleur, et chacun devient plus aggreable en sa vocation
la
conjoignant a la devotion
: le soin de la famille en est rendu paisible, l'amour du mari et de la
femme plus
sincere, le service
du prince plus fidelle, et toutes sortes d'occupations plus suaves et amiables.
C'est un erreur, ains une heresie, de vouloir bannir la vie devote de la compaignie des soldatz, de la
boutique des artisans,
de la cour des princes , du mesnage des gens mariés. Il est vray,
Philothee, que la
devotion purement
contemplative, monastique et religieuse ne peut estre exercee en ces vacations
la ; mais
aussi, outre ces trois
sortes de devotion, il y en a plusieurs autres, propres a perfectionner
ceux qui vivent
es estatz seculiers.
Abraham, Isaac et Jacob , David, Job, Tobie, Sara, Rebecca et Judith en
font foy pour
l'Ancien Testament;
et quant au Nouveau, saint Joseph, Lydia et saint Crespin furent parfaittement
devotz
en leurs boutiques
; sainte Anne, sainte Marthe, sainte Monique, Aquila, Priscilla, en leurs
mesnages ;
Cornelius, saint Sebastien,
saint Maurice, parmi les armes ; Constantin, Helene, saint Louys, le
bienheureux Amé,
saint Edouard, en leurs throsnes (8). Il est mesme arrivé que plusieurs
ont perdu la
perfection en la solitude,
qui est neanmoins si desirable pour la perfection, et l'ont conservee parmi
la
multitude, qui semble
si peu favorable a la perfection : Loth, dit saint Gregoire(9), qui fut
si chaste en la
ville, se souilla
en la solitude. Ou que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer a la
vie parfaitte.
CHAPITRE IV
DE LA NECESSITÉ
D'UN CONDUCTEUR POUR ENTRER
ET FAIRE PROGRES EN
LA DEVOTION
Le jeune Tobie
commandé d'aller en Rages : Je ne sçay nullement le chemin,
dit-il. Va donq, repliqua le
pere, et cherche quelque homme qui te conduise (10). Je vous en dis de
mesme, ma Philothee
voules-vous
a bon escient vous acheminer a la devotion ? cherchés quelque homme
de bien qui vous
guide et conduise
; c'est ici l'advertissement des advertissemens. Quoy que vous cherchies,
dit le devot
Avila
(11), " vous ne treuveres jamais si asseurement la volonté de Dieu
que par le chemin de cette
humble obeissance, tant recommandee et prattiquee par tous les anciens
devotz."
La bienheureuse Mere
Therese voyant que madame Catherine de Cardone (12) faisoit des grandes
penitences, desira
fort de l'imiter en cela, contre l'advis de son confesseur qui le luy defendoit
, auquel elle
estoit tentee de ne
point obeir pour ce regard ; et Dieu luy dit ; " Ma fille, tu tiens un
bon et asseure
chemin. Vois-tu la
penitence qu'elle fait ? mais moy, je fais plus de cas de ton obeissance
(13). " Aussi
elle aymoit tant cette
vertu, qu'outre l'obeissance qu'elle devoit a ses superieurs, elle en voùa
une toute
particuliere a un
excellent homme (14), s'obligeant de suivre sa direction et conduite ,
dont elle fut
infiniment consolee
; comme, apres et devant elle, plusieurs bonnes ames, qui pour se mieux
assujettir a
Dieu, ont sousmis
leur volonté a celle de ses serviteurs, ce que sainte Catherine
de Sienne loüe infiniment
en ses Dialogues (15).
La devote Princesse sainte Elisabeth se sousmit avec une extreme obeissance
au
docteur Maistre Conrad
; et voyci l'un des advis que le grand saint Louys fit a son filz avant
que mourir
(16) : " Confesse-toy
souvent, eslis un confesseur " idoine, qui soit " preud'homme et qui te
puisse
seurement enseigner
" a faire les choses qui te sont necessaires.
L'ami fidelle , dit
l'Escriture Sainte (17), est une forte protection ; celuy qui l'a treuvé
a treuvé un tresor.
L'ami fidelle est
un medicament de vie et d'immortalité; ceux qui craignent Dieu le
treuvent. Ces
divines paroles regardent
principalement l'immortalité, comme vous voyes, pour laquelle il
faut sur toutes
choses avoir cet ami
fidelle qui guide nos actions par ses advis et conseilz, et par ce moyen
nous garantit
des embusches et tromperies
du malin ; il nous sera comme un tresor de sapience en nos afflictions,
tristesses et cheutes
; il nous servira de medicament pour alleger et consoler nos coeurs es
maladies
spintuelles ; il nous
gardera du mal, et rendra nostre bien meilleur ; et quand il nous arrivera
quelque
infrmité, il
empeschera qu'elle ne soit pas a la mort, car il nous en relevera.
Mais qui treuvera cet
ami ? Le Sage respond (18): Ceux qui craignent Dieu ; c'est a dire, les
humbles qui
desirent fort leur
avancement spirituel. Puisqu'il vous importe tant, Philothee, d'aller avec
une bonne guide
en ce saint voyage
de devotion, pries Dieu avec une grande instance qu'il vous en fournisse
d'une qui soit
selon son coeur, et
ne doutes point; car, quand il devroit envoyer un Ange du ciel, comme il
fit au jeune
Tobie, il vous en
donnera une bonne et fidelle.
Or, ce doit tous-jours
estre un Ange pour vous c'est a dire, quand vous l'aures treuvee, ne la
considerés
pas comme un simple
homme, et ne vous confies point en iceluy ni en son sçavoir humain,
mais en Dieu,
lequel vous favorisera
et parlera par l'entremise de cet homme, mettant dedans le coeur et dedans
la
bouche d'iceluy ce
qui sera requis pour vostre bonheur ; si que vous le deves escouter comme
un Ange
qui descend du ciel
pour vous y mener. Traittes avec luy a coeur ouvert, en toute sincerité
et fidelité, luy
manifestant clairement
vostre bien et vostre mal, sans feintise ni dissimulation : et par ce moyen
, vostre
bien sera examiné
et plus asseuré, et vostre mal sera corrigé et remedié
; vous en seres allegee et fortifiee
en vos afflictions,
moderee et reglee en vos consolations. Ayes en luy une extreme confiance
meslee d'une
sacree reverence,
en sorte que la reverence ne diminue point la
confiance, et que la
confiance n'empesche point la reverence ; confies-vous en luy avec le respect
d'une
fille envers son pere,
respectes-le avec la confiance d'un filz avec sa mere bref, cette amitié
doit estre
forte et douce, toute
sainte, toute sacree, toute divine et toute spirituelle.
Et pour cela, choisisses
en un entre mille, dit Avila(19); et moy je dis entre dix mille, car il
s'en treuve
moins que l'on ne
sçauroit dire qui soyent capables de cet office. Il le faut plein
de charité, de science et
de prudence Si l'une
de ces trois parties luy manque, il y a du danger. Mais je vous dis derechef,
demandes-le a Dieu,
et l'ayant obtenu benisses sa divine Majesté, demeurés ferme
et n'en cherches point
d'autres, ains alles
simplement, humblement et confidemment, car vous feres un tres heureux
voyage.
CHAPITRE V
QU'IL FAUT COMMENCER PAR LA PURGATION
DE L'AME
Les fleurs, dit
l'Espoux sacré (20), apparaissent en nostre terre, le tems d'esmonder
et tailler est venu.
Qui sont les
fleurs de nos coeurs, o Philothee, sinon les bons desirs ? Or, aussi tost
qu'ilz paroissent, il
faut mettre la main a la serpe, pour retrancher de nostre conscience toutes
les oeuvres mortes et
superflues. La fille estrangere, pour espouser l'Israélite, devoit
oster
la robbe de sa captivité,
rogner ses ongles et raser ses cheveux (21): et l'ame qui aspire a l'honneur
d'estre
espouse du Filz de
Dieu, se doit despouiller du viel homme et se revestir du nouveau(22),
quittant le
peché ; puis,
rogner et raser toutes sortes d'empeschemens qui destournent de l'amour
de Dieu. C'est le
commencement de nostre
santé que d'estre purgé de nos humeurs peccantes.
Saint Paul tout en un moment fut purgé d'une purgation parfaitte, comme fut aussi sainte
Catherine de Gennes,
sainte Magdeleine, sainte Pelagie et quelques autres ; mais cette sorte
de purgation
est toute miraculeuse
et extraordinaire en la grace, comme la resurrection des mortz en la nature,
si que
nous ne devons pas
y pretendre. La purgation et guerison ordinaire, soit des cors soit des
espritz, ne se
fait que petit a petit,
par progres, d'avancement en avancement, avec peyne et loysir. Les Anges
ont des
aisles sur l'eschelle
de Jacob, mais ilz ne volent pas, ains montent et descendent par ordre,
d'eschellon en
eschellon. L'ame qui
monte du peché a la devotion est comparee a l'aube (23), laquelle
s'eslevant ne
chasse pas les tenebres
en un instant, mais petit a petit. La guerison, dit l'aphorisme, qui se
fait tout
bellement, est tous-jours
plus asseuree ; les maladies du coeur, aussi bien que celles du cors, viennent
a
cheval et en poste,
mais elles s'en revont a pied et au petit pas.
Il faut donques estre
courageuse et patiente o Philothee, en cette entreprinse. Helas, quelle
pitié est-ce de
voir des ames lesquelles,
se voyans sujettes a plusieurs imperfections apres s'estre exercees quelques
fois
en la devotion, commencent
a s'inquieter, se troubler et descourager, laissans presque emporter leur
coeur
a la tentation de
tout quitter et retourner en arriere. Mais aussi, de l'autre costé,
n'est-ce pas un extreme
danger aux ames lesquelles,
par une tentation contraire, se font accroire d'estre purgees de leurs
imperfections le premier
jour de leur purgation, se tenans pour parfaittes avant presque d'estre
faittes, en
se mettant au vol
sans aisles ? O Philothee, qu'elles sont en grand peril de recheoir, pour
s'estre trop tost
ostees d'entre les
mains du medecin ! Ha, ne vous levés pas avant que la lumiere soit
arrivee, dit le
Prophete (24); levés
vous apres que vous aurés esté assis et luy mesme prattiquant
cette leçon et ayant
des-ja et nettoyé,
demande de l'estre derechef (25).
L'exercice de la purgation
de l'ame ne se peut ni doit finir qu'avec nostre vie : ne nous troublons
donq
point de nos imperfections,
car nostre perfection consiste a les combattre,
et nous ne sçaurions
les combattre sans les voir, ni les vaincre sans les rencontrer. Nostre
victoire ne gist
pas a ne les sentir
point, mais a ne point leur consentir ; mais ce n'est pas leur consentir
que d'en estre
incommodé (26).
Il faut bien que pour l'exercice de nostre humilité, nous soyons
quelquefois blessés en
cette bataille spirituelle
; neanmoins nous ne sommes jamais vaincus sinon lhors que nous avons perdu
ou
la vie ou le courage.
Or, les imperfections et pechés venielz ne nous sçauroyent
oster la vie spirituelle, car
elle ne se perd que
par le peché mortel ; il reste donques seulement qu'elles ne nous
facent point perdre le
courage : Delivre-moy,
Seigneur, disoit David (27), de la couardise et descouragement. C'est une
heureuse condition
pour nous en cette guerre, que nous soyons tous-jours vainqueurs, pourvu
que nous
voulions combattre.
CHAPITRE VI
DE LA PREMIERE PURGATION,
QUI EST CELLE
DES PECHÉS MORTELZ
La premiere purgation
qu'il faut faire c'est celle du peché ; le moyen de la faire c'est
le saint Sacrement de
Penitence.
Cherches le plus digne confesseur que vous pourres ; prenes en main quelqu'un
des petitz
livres qui ont
esté faitz pour ayder les consciences a se bien confesser, comme
Grenade (28), Bruno (29),
Arias (30), Auger
(31); lises les bien, et remarques de point en point en quoy vous aves
offencé, a prendre
despuis que
vous eustes l'usage de rayson jusques a l'heure presente ; et si vous vous
defies de vostre
memoire, mettes
en escrit ce que vous aurés remarqué. Et ayant ainsy preparé
et ramassé les humeurs
peccantes de
vostre conscience, detestes-les et les rejettes par une contrition et desplaysir
aussi grand que
vostre coeur pourra souffrir, considerant ces quatre choses: que par le
peché vous aves
perdu la grace de Dieu, quitté vostre part de Paradis, accepté
les peynes eternelles de
l'enfer et renoncé
a l'amour eternel de Dieu.
Vous voyes bien, Philothee,
que je parle d'une confession generale de toute la vie, laquelle, certes,
je
confesse bien n'estre
pas tous-jours absolument necessaire, mais je considere bien aussi qu'elle
vous sera
extremement utile
en ce commencement : c'est pourquoy je vous la conseille grandement Il
arrive souvent
que les confessions
ordinaires de ceux qui vivent d'une vie commune et vulgaire sont pleines
de grans
defautz : car souvent
on ne se prepare point ou fort peu, on n'a point la contrition requise,
ains il advient
maintes fois que l'on
se va confesser avec une volonté tacite de retourner au peché,
d'autant qu'on ne
veut pas eviter l'occasion
du peché, ni prendre les expediens necessaires a l'amendement de
la vie ; et en
tous ces cas ici la
confession generale est requise pour asseurer l'ame. Mais outre cela, la
confession
generale nous appelle
a la connoissance de nous mesmes, nous provoque a une salutaire confusion
pour
nostre vie passee,
nous fait admirer la misericorde de Dieu qui nous a attendus en patience
; elle apaise
nos coeurs, delasse
nos espritz, excite en nous des bons propos, donne sujet a nostre pere
spirituel de
nous faire des advis
plus convenables a nostre condition, et nous ouvre le coeur pour avec confiance
nous
bien declarer aux
confessions suivantes.
Parlant donq d'un renouvellement
general de nostre coeur et d'une conversion universelle de nostre ame a
Dieu, par l'entreprise
de la vie devote, j'ay bien rayson, ce me semble, Philothee, de vous conseiller
cette
confession generale.
CHAPITRE VII
DE LA SECONDE PURGATION,
QUI EST CELLE
DES AFFECTIONS DU PECHÉ
Tous les Israélites
sortirent en effect de la terre d'Egypte, mays ilz n'en sortirent pas tous
d'affection; c'est
pourquoy
emmi le desert plusieurs d'entre eux regrettoyent de n'avoir pas les oignons
et les chairs
d'Egypte
(32). Ainsy il y a des penitens qui sortent en effect du peché et
n'en quittent pourtant pas
l'affection
: c'est a dire, ilz proposent de ne plus pecher, mais c'est avec un certain
contrecoeur qu' ilz ont
de se priver
et abstenir des malheureuses delectations du peché ; leur coeur
renonce au peché et s'en
esloigne, mais
il ne laisse pas pour cela de se retourner souventefois de ce costé
la, comme fit la femme
de Loth
du costé de Sodome (33). Ilz s'abstiennent du peché comme
les malades font des melons,
lesquelz ilz ne mangent pas parce que le medecin les menace de mort s'ilz
en mangent ; mais ilz
s'inquietent
de s'en abstenir, ilz en parlent et marchandent s'il se pourroit faire,
ilz les veulent au moins
sentir, et
estiment bien heureux ceux qui en peuvent manger. Car ainsy ces foibles
et Iasches penitens
s'abstiennent
pour quelque tems du peché, mais c'est a regret ; ilz voudroient
bien pouvoir pecher sans
estre damnés,
ilz parlent avec ressentiment et goust du peché et estiment contens
ceux qui les font. Un
homme resolu
de se venger changera de volonté en la confession, mais tost apres
on le treuvera parmi ses
amis qui prend
playsir a parler de sa querelle, disant que si ce n' eust esté la
crainte de Dieu, il eust fait
ceci et cela, et que
la loy divine en cet article de pardonner est difficile ; que pleust a
Dieu qu'il fust permis
de se venger
! Ha, qui ne voit qu'encor que ce pauvre homme soit hors du peché,
il est neanmoins tout
embarrassé
de l'affection du peché, et qu'estant hors d'Egypte en effect, il
y est encor en appetit, desirant
les aulx et
les oignons qu'il y souloit manger ! comme fait cette femme qui, ayant
detesté ses mauvaises
amours, se plaist
neanmoins d'estre muguettee et environnee. Helas, que telles gens sont
en grand peril !
O Philothee, puisque
vous voulés entreprendre la vie devote, il ne vous faut pas seulement
quitter le
peché, mais
il faut tout a fait esmonder vostre coeur de toutes les affections qui
dependent du peché ; car,
outre le danger qu'il
y auroit de faire recheute, ces miserables affections allanguiroyent perpetuellement
vostre esprit, et
l'appesentiroyent en telle sorte qu'il ne pourroit pas faire les bonnes
oeuvres
promptement, diligemment
et frequemment, en quoy gist neanmoins la vraÿe essence de la devotion.
Les
ames lesquelles sorties
de l'estat du peché ont encor ces affections et allanguissemens,
ressemblent a mon
advis aux filles qui
ont les pasles couleurs, lesquelles ne sont pas malades, mais toutes leurs
actions sont
malades : elles mangent
sans goust, dorment sans repos, rient sans joye, et se traisnent plustost
que de
cheminer ; car de
mesme, ces ames font le bien avec des lassitudes spirituelles si grandes
qu'elles ostent
toute la grace a leurs
bons exercices, qui sont peu en nombre et petitz en effect.
CHAPITRE VIII
DU MOYEN DE FAIRE CETTE
SECONDE PURGATION
Or, le premier motif
pour parvenir a (34) cette seconde purgation, c'est la vive et forte apprehension
du
grand mal que le peché
nous apporte, par le moyen de laquelle nous entrons en une profonde et
vehemente contrition
; car tout ainsy que la contrition, pourveu qu'elle soit vraye, pour petite
qu'elle soit,
et sur tout estant
jointe a la vertu des Sacremens, nous purge suffisamment du peché,
de mesme quand
elle est grande et
vehemente, elle nous purge de toutes les affections qui dependent du peché.
Une haine
ou rancune foible
et debile nous fait avoir a contrecoeur celuy que nous haïssons et
nous fait fuir sa
compaignie ; mais
si c'est une haine mortelle et violente, non seulement nous fuyons et abhorrons
celuy a
qui nous la portons,
ains nous avons a degoust et ne pouvons souffrir la conversation de ses
alliés, parens
et amis, non pas mesme
son image, ni chose qui luy appartienne. Ainsy, quand le penitent ne hait
le peché
que par une legere,
quoy que vraye contrition, il se resoult voyrement bien de ne plus pecher,
mais quand
il le hait d'une contrition
puissante et vigoureuse, non seulement il deteste le peché, ains
encor toutes les
affections , dependances
et acheminemens du peché.
Il faut donques, Philothee,
aggrandir tant qu'il nous sera possible nostre contrition et repentance,
affin
qu'elle s' estende
jusques aux moindres appartenances du peché. Ainsy Magdeleine en
sa conversion
perdit tellement le
goust des pechés et des playsirs qu'elle y avoit prins, que jamais
plus elle n'y pensa; et
David protestoit de
non seulement haïr le peché, mais aussi toutes les voyes et
sentiers d'iceluy (35) : en
ce point consiste
le rajeunissement de l'ame, que ce mesme Prophete (36) compare au renouvellement
de
l'aigle.
Or, pour parvenir a cette apprehension et contrition,
il faut que vous vous
exercies soigneusement aux meditations suivantes, lesquelles estans bien
prattiquees
desracineront de
vostre coeur, moyennant
la grace de Dieu, le peché et les principales affections du peché
; aussi les ay-je
dressees tout a fait
pour cet usage. Vous les feres l'une apres l'autre selon que je les ay
marquees, n'en
prenant qu'une pour
chaque jour, laquelle vous feres le matin, s'il est possible, qui est le
tems le plus
propre pour toutes
les actions de l'esprit (37), et la ruminerés (38) le reste de la
journee. Que si vous
n'estes encor pas
duite a faire la meditation, voyes ce qui en sera dit en la seconde Partie.
CHAPITRE IX
Meditation 1
DE LA CREATION
Preparation
1. Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Supplies-le qu'il
vous inspire.
Considerations
1.Considerés
qu'il n'y a que tant d'ans que vous n'esties point au monde, et que vostre
estre estoit un vray
rien. Ou estions-nous,
o mon ame, en ce tems la? Le monde avoit des-ja tant duré, et de
nous, il n'en
estoit nulle nouvelle.
2. Dieu vous a fait esclore de ce rien, pour vous rendre ce que vous estes, sans qu'il eust
besoin de vous, ains par sa seule bonté.
3. Considerés l'estre que Dieu vous a donné ; car c'est le premier estre du monde visible,
capable de vivre eternellement
et de s'unir parfaittement a sa divine Majesté.
Affections et resolutions
1. Humilies-vous profondement
devant Dieu, disant de coeur avec le Psalmiste : O Seigneur, je suis
devant vous comme
un vray rien (39). Et comment eustes-vous memoire de moy (40) pour me creer?
Helas, mon ame, tu
estois abimee dans cet ancien neant, et y serois encores de present si
Dieu ne t'en
eust retiree ; et
que ferois-tu dedans ce rien ?
2. Rendes graces a
Dieu. O mon grand et bon Createur, combien vous suis-je redevable, puisque
vous
m'estes allé
prendre dans mon rien, pour me rendre par vostre misericorde ce que je
suis. Qu'est ce que je
feray jamais pour
dignement benir vostre saint Nom et remercier vostre immense bonté
?
3. Confondés-vous.
Mays helas, mon Createur, au lieu de m'unir a vous par amour et service,
je me suis
rendue toute rebelle
par mes desreglees affections, me separant et esloignant de vous pour me
joindre au
peché, n'honnorant
non plus vostre bonté que si vous n'eussies pas esté mon
Createur.
4. Abaisses-vous devant
Dieu. O mon ame, sçache que le Seigneur est ton Dieu ; c'est luy
qui t'a fait, et
tu ne t'es pas faitte
toy mesme (41). O Dieu, je suis l'ouvrage de vos mains (42).
5. Je ne veux donq
plus des-ormais me complaire en moy mesme, qui de ma part ne suis rien.
Dequoy te
glorifies-tu, o poudre
et cendre (43), mais plustost, o vray neant ? dequoy t'exaltes-tu ? Et
pour
m'humilier, je veux
faire telle et telle chose, supporter telz et telz mespris. Je veux changer
de vie et
suivre des-ormais
mon Createur, et m'honnorer de la condition de l'estre qu'il m'a donné,
l'employant
tout entierement a
l'obeissance de sa volonté par les moyens qui me seront enseignés,
et desquelz je
m'enquerray vers mon
pere spirituel
Conclusion
1. Remercies Dieu.
Benis, o mon ame, ton Dieu et que toutes mes entrailles loüent son
saint Nom(44) ;
car sa bonté
m'a tiree de rien, et sa misericorde m'a creée.
2.Offres. O mon Dieu,
je vous offre l'estre que vous m' aves donné, avec tout mon coeur;
je le vous
dedie et consacre.
3. Pries. O Dieu, fortifies
moy en ces affections et resolutions ; o Sainte Vierge, recommandes les
a la
misericorde de vostre
Filz, avec tous ceux pour qui je dois prier, etc.
Pater noster, Ave.
Au sortir de l'orayson,
en vous pourmenant un peu, recueilles un petit bouquet de devotion, des
considerations que
vous aves faites, pour l'odorer le long de la journee.
CHAPITRE X
Meditation 2
DE LA FIN POUR LAQUELLE NOUS SOMMES CREES
Preparation
1. Mettes-vous devant Dieu.
2. Pries-le qu'il vous inspire.
Considerations
1.Dieu ne vous a pas
mise en ce monde pour aucun besoin qu'il eust de vous, qui luy estes du
tout inutile,
mais seulement affin
d'exercer en vous sa bonté, vous donnant sa grace et sa gloire.
Et pour cela il vous a
donné l'entendement
pour le connoistre, la memoire pour vous souvenir de luy, la volonté
pour l'aymer,
l'imagination pour
vous representer ses bienfaitz, les yeux pour voir les merveilles de ses
ouvrages, la
langue pour le loüer,
et ainsy des autres facultés.
2.Estant creée
et mise en ce monde a cette intention, toutes actions contraires a icelle
doivent estre
rejettees et evitees,
et celles qui ne servent de rien a cette fin doivent estre mesprisees,
comme vaines et
superflues.
3.Considerés
le malheur du monde qui ne pense point a cela, mais vit comme s' il croyoit
de n'estre creé
que pour bastir des
maysons, planter des arbres, assembler des richesses et faire des badineries.
Affections et resolutions
1.Confondes-vous, reprochant
a vostre ame sa misere, qui a esté si grande ci devant qu'elle n'a
que peu
ou point pensé
a tout ceci. Helas, ce dires-vous, que pensois-je, o mon Dieu, quand je
ne pensois point en
vous ? dequoy me resouvenois-je
quand je vous oubliois ? qu'aymois-je quand je ne vous aymois pas ?
Helas, je me devois
repaistre de la verité, et je me remplissois de la vanité,
et servois le monde qui n'est
fait que pour me servir.
2.Detestes la vie passee.
Je vous renonce, pensees vaines et cogitations inutiles; je vous abjure,
o
souvenirs detestables
et frivoles; je vous renonce, amitiés infidelles et desloyales,
services perdus et
miserables, gratifications
ingrates, complaisances fascheuses.
3. Convertisses-vous
a Dieu. Et vous, o mon Dieu, mon Sauveur, vous seres doresnavant le seul
objet de
mes pensees ; non,
jamais je n'appliqueray mon esprit a des cogitations qui vous soient desaggreables
: ma
memoire se remplira
tous les jours de ma vie, de la grandeur de vostre debonnaireté,
si doucement
exercee en mon endroit;
vous seres les delices de mon coeur et la suavité de mes affections.
Ha donq, telz
et telz fatras et
amusemens ausquelz je m'appliquois, telz et telz vains exercices ausquelz
j'employois mes
journees, telles et
telles affections qui engageoient mon coeur, me seront des-ormais en horreur;
et a cette
intention j'useray
de telz et telz remedes.
Conclusion
I. Remercies Dieu qui
vous a faite pour une fin si excellente. Vous m'aves faite, o Seigneur,
pour vous,
affin que je jouisse
eternellement de l'immensité de vostre gloire quand sera-ce que
j'en seray digne, et
quand vous beniray-je
selon mon devoir ?
2. Offrés. Je
vous offre, o mon cher Createur, toutes ces mesmes affections et resolutions,
avec toute
mon ame et mon coeur.
3. Pries. Je vous supplie,
o Dieu, d'avoir aggreables mes souhaitz et mes voeux, et de donner vostre
sainte
benediction a mon
ame, a celle fin qu'elle les puisse accomplir par le merite du sang de
vostre Filz
respandu sur la Croix,
etc.
Faites le petit bouquet
de devotion.
CHAPITRE XI
Meditation 3
DES BENEFICES DE DIEU
Preparation
1. Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Pries-le qu'il vous
inspire.
Considerations
1. 1.Consideres les
graces corporelles que Dieu vous a donnees : quel cors, quelles commodités
de
l'entretenir, quelle
santé, quelles consolations loysibles
pour iceluy, quelz
amis, quelles assistances. Mais cela consideres-le avec une comparayson
de tant
d'autres personnes
qui valent mieux que vous, lesquelles sont destituees de ces benefices
: les uns gastés
de cors, de santé,
de membres ; les autres abandonnés a la merci des opprobres, et
du mespris et
des-honneur ; les
autres accablés de pauvreté ; et Dieu n'a pas voulu que vous
fussies si miserable.
2. Consideres les dons
de l'esprit : combien y a-il au monde de gens hebetés, enragés,
insensé; et
pourquoy n'estes-vous
pas du nombre ? Dieu vous a favorisee. Combien y en a-il qui ont esté
nourris
rustiquement et en
une extreme ignorance ; et la Providence divine vous a fait eslever civilement
et
honnorablement.
3. Consideres les graces
spirituelles o Phîlothee, vous estes des enfans de l'Eglise ; Dieu
vous a enseignee
sa connoissance des
vostre jeunesse. Combien de fois vous a-il donné ses Sacremens?
combien de fois,
des inspirations,
des lumieres interieures, des reprehensions pour vostre amendement ? combien
de fois
vous a-il pardonné
vos fautes ? combien de fois, delivree des occasions de vous perdre ou
vous esties
exposee ? Et ces annees
passees, n'estoyent ce pas un loysir et commodité de vous avancer
au bien de
vostre ame ? Voyes
un peu par le menu combien Dieu vous a esté doux et gracieux.
Affections et resolutions
1. Admires la bonté
de Dieu. O que mon Dieu est bon en mon endroit ! O qu'il est bon ! Que
vostre
coeur, Seigneur, est
riche en misericorde et liberal en debonnaireté (45)! O mon ame,
racontons a jamais
combien de graces
il nous a faites.
2. Admires vostre ingratitude.
Mais que suis-je, Seigneur, que vous ayes eu memoîre de moy (46)?
O que
mon indignité
est grande ! Helas, j'ay foulé au pied vos benefices; j'ay deshonnoré
vos graces, les
convertissant en abus
et mespris de vostre souveraine bonté; j 'ay opposé l'abisme
de mon ingratitude a
l'abisme de vostre
grace et faveur.
3. Excites-vous a reconnoissance.
Sus donq, o mon coeur, ne veuille plus estre infidelle, ingrat et desloyal
a ce grand Bienfaiteur.
Et comment mon ame ne sera-elle pas meshuy sujette a Dieu (47), qui a fait
tant
de merveilles et de
graces en moy et pour moy ?
4. Ha donq, Philothee,
retires vostre cors de telles et telles voluptés, rendes-le sujet
au service de Dieu qui
a tant fait pour luy;
appliques vostre ame a le connoistre et reconnoistre, par telz et telz
exercices qui sont
requis pour cela;
employés soigneusement les moyens qui sont en l'Eglise pour vous
sauver et aymer
Dieu. Ouy, je frequenteray
l'orayson, les Sacremens, j'escouteray la sainte parole, je prattiqueray
les
inspirations et conseilz.
Conclusion
. 1.Remercies Dieu
de la connoissance qu'il vous a donnee maintenant de vostre devoir, et
de tous les
bienfaitz cy devant
receus.
. 2.Offres-luy vostre coeur avec toutes vos resolutions.
3. Pries-le qu'il vous
fortifie, pour les prattiquer fidellement par le merite de la mort de son
Fil; implorés
l'intercession de
la Vierge et des Saintz,
Pater noster, etc.
Faites le petit bouquet
spirituel.
CHAPITRE XII
Meditation 4
DES PECHES
Preparation
1.Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Supplies-le qu'il
vous inspire.
Considerations
1. Penses combien il
y a que vous commencés a pecher, et voyes combien des ce premier
commencement les pechés
se sont multipliés en vostre coeur ; comme tous les jours vous les
aves accreus
contre Dieu, contre
vous mesme, contre le prochain, par oeuvre, par parole, par desir et pensee.
Consideres vos mauvaises
inclinations, et combien vous les avés suivies. Et par ces deux
pointz vous
verrés que
vos coulpes sont en plus grand nombre que les cheveux de vostre teste (48),
voyre que le
sable de la mer.
3. Consideres a part
le peché d'ingratitude envers Dieu, qui est un peché general
lequel s'espanche par
tous les autres, et
les rend infiniment plus enormes :
voyes donq combien
de benefices Dieu vous a fait, et que de tous, vous aves abusé contre
le Donateur;
singulierement, combien
d'inspirations mesprisees, combien de bons mouvemens rendus inutiles. Et
encor
plus que tout, combien
de fois aves-vous receu les Sacremens, et ou en sont les fruitz ? que sont
devenus
ces pretieux joyaux
dont vostre cher Espoux vous avoit ornee ? tout cela a esté couvert
sous vos iniquités.
Avec quelle preparation
les aves-vous receus ? Pensés a cette ingratitude, que Dieu vous
ayant tant couru
apres pour vous sauver,
vous aves tous-jours fui devant luy pour vous perdre.
Affections et resolutions
1. 1. Confondes-vous
en vostre misere. O mon Dieu, comment ose-je comparoistre devant vos yeux
?
Helas, je ne suis
qu'un apostheme du monde et un esgoust d'ingratitude et d'iniquité.
Est il possible que
j'aye esté
si desloyale, que je n'aye laissé pas un seul de mes sens, pas une
des puissances de mon ame,
que je n'aye gasté,
violé et souïllé, et que pas un jour de ma vie ne soit
escoulé auquel je n'aye produit de
si mauvais effectz
? Est-ce ainsy que je devois contrechanger les benefices de mon Createur
et le sang de
mon Redempteur ?
2. Demandes pardon,
et vous jettés aux pieds du Seigneur comme un enfant prodigue, comme
une
Magdeleine, comme
une femme qui auroit souïllé le lit de son mariage de toutes
sortes d'adulteres. O
Seigneur, misericorde
sur cette pecheresse ; helas, o source vive de compassion, ayes pitié
de cette
miserable.
3. Proposes de vivre
mieux. O Seigneur, non, jamais plus, moyennant vostre grace, non, jamais
plus je ne
m'abandonneray au
peché. Helas, je ne l'ay que trop aymé ; je le deteste, et
vous embrasse, o Pere de
misericorde ; je veux
vivre et mourir en vous.
4. Pour effacer les
pechés passés, je m'en accuseray courageusement, et n 'en
laisseray pas un que je ne
pousse dehors.
5. Je feray tout ce
que je pourray pour en deraciner entierement les plantes de mon coeur,
particulierement de
telz et de telz qui me sont plus ennuyeux.
6. Et pour ce faire,
j'embrasseray constamment les moyens qui me seront conseillés, ne
me semblant
d'avoir jamais asses
fait pour reparer de si grandes fautes.
Conclusion
1. Remerciés Dieu qui vous a attendue jusques a cette heure, et vous a donné ces bonnes affections.
2. Faites-luy offrande de vostre coeur pour les effectuer.
3. Pries-le qu'il vous
fortifie, etc.