CHAPITRE XIII
Meditation 5
DE LA MORT
Preparation
1. Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Demandes-luy sa grace.
3. Imagines-vous d'estre
malade en extremité dans le lit de la mort, sans esperance aucune
d'en
eschapper.
Considerations
1. Consideres l'incertitude
du jour de vostre mort. O mon ame, vous sortires un jour de ce cors. Quand
sera-ce ? sera-ce
en hiver ou en esté ? en la ville ou au village ? de jour ou de
nuit ? sera-ce a l'impourveu
ou avec advertissement
? sera-ce de maladie ou d'accident ? aures-vous le loysir de vous confesser,
ou
non ? seres-vous assistee
de vostre confesseur et pere spirituel ? Helas, de tout cela nous n'en
sçavons
rien du tout ; seulement
cela est asseuré que nous mourrons, et tous-jours plus tost que
nous ne pensons.
2. Consideres qu'alhors
le monde finira pour ce qui vous regarde, il n'y en aura plus pour vous;
il
renversera sans dessus
dessous devant vos yeux. Ouy, car alhors les playsirs, les vanités,
les joyes
mondaines, les affections
vaynes nous apparoistront comme des fantosmes et nuages. Ah chetifve, pour
quelles bagatelles
et chimeres ay je offensé mon Dieu ! Vous verrés que nous
avons quitté Dieu pour
neant. Au contraire,
la devotion et les bonnes oeuvres vous sembleront alhors si desirables
et douces : et
pourquoy n'ay je suivi
ce beau et gracieux chemin ? Alhors les pechés qui sembloyent bien
petitz,
paroistront gros comme
des montagnes, et vostre devotion, bien petite.
3. Consideres les grans
et langoureux adieux que vostre ame dira a ce bas monde : elle dira adieu
aux
richesses, aux vanités
et vaynes compaignies, aux playsirs, aux passetems, aux amis et voysins,
aux
parens, aux enfans,
au mari, a la femme, bref, a toute creature; et, en fin finale, a son cors,
qu'elle
delaissera pasle,
have, desfait, hideux et puant.
4. Consideres les empressemens
qu'on aura pour lever ce cors-la et le cacher en terre, et que, cela fait,
le
monde ne pensera plus
gueres en vous, ni n'en sera plus memoire, non plus que vous n' avés
gueres pensé
aux autres : Dieu
luy face paix, dira-on, et puis, c'est tout. O mort, que tu es considerable,
que tu es
impiteuse !
5. Consideres qu'au
sortir du cors, l'ame prend son chemin ou a droite ou a gauche. Helas,
ou ira la vostre
? quelle voye tiendra-elle
? non autre que celle qu'elle aura commencee en ce monde.
Affections et resolutions
1. Pries Dieu et vous
jettes entre ses bras. Las ! Seigneur, receves-moy en vostre protection
pour ce jour
effroyable; rendés-moy
cette heure heureuse et favorable, et que plustost toutes les autres de
ma vie me
soyent tristes et
d'affliction.
2. Mesprises le monde.
Puisque je ne sçai l'heure en laquelle il te faut quitter, o monde,
je ne me veux
point attacher a toy.
O mes chers amis, mes cheres alliances, permettes-moy que je ne vous affectionne
plus que par une amitié
sainte, laquelle puisse durer eternellement ; car, pourquoy m'unir a vous
en sorte
qu'il faille quitter
et rompre la liaison ?
3. Je me veux preparer
a cette heure, et prendre le soin requis pour faire ce passage heureusement;
je
veux asseurer l'estat
de ma conscience de tout mon pouvoir, et veux mettre ordre a telz et telz
manquemens.
Conclusion
Remercies Dieu
de ces resolutions qu'il vous a donnees ; offres les a sa Majesté
; supplies la derechef
qu'elle vous
rende vostre mort heureuse par le merite de celle de son Filz. Implorés
l'ayde de la Vierge et
des Saintz.
Pater, Ave Maria.
Faites un bouquet de
myrrhe.
CHAPITRE XIV
Meditation 6
DU JUGEMENT
Preparation
1. Mettes-vous devant Dieu.
2. Supplies-le qu'il
vous inspire.
Considerations
. 1.En fin, apres le
tems que Dieu a marqué pour la duree de ce monde, et apres une quantité
de signes et
presages horribles
pour lesquelz les hommes secheront d'effroi(49) et de crainte, le feu venant
comme un
deluge bruslera et
reduira en cendre toute la face de la terre, sans qu'aucune des choses
que nous voyons
sur icelle en soit
exempte.
2. Apres ce deluge
de flammes et de foudres, tous les hommes ressusciteront de la terre, excepté
ceux qui
sont des-ja ressuscités,
et a la voix de l'Archange comparoistront en la vallee de Josaphat. Mais
helas,
avec quelle difference
car les uns y seront en cors glorieux et resplendissans , et les autres
en cors hideux
et horribles.
3. Consideres la majesté
avec laquelle le souverain Juge comparoistra, environné de tous
les Anges et
Saintz, ayant devant
soy sa Croix plus reluisante que le soleil, enseigne de grace pour les
bons, et de
rigueur pour les mauvais.
4. Ce souverain Juge,
par son commandement redoutable et qui sera soudain executé, separera
les bons
des mauvais, mettant
les uns a sa droite, les autres a sa gauche; separation eternelle, et apres
laquelle
jamais plus ces deux
bandes ne se treuveront ensemble.
5. La separation faite
et les livres des consciences ouvertz, on verra clairement la malice des
mauvais et le
mespris dont ilz ont
usé contre Dieu ; et d'ailleurs, la penitence des bons et les effectz
de la grace de Dieu
qu'ilz ont receuë,
et rien ne sera caché. O Dieu, quelle confusion pour les uns, quelle
consolation pour les
autres
6. Consideres la derniere sentence des mauvais
: Alles, mauditz, au
feu eternel qui est preparé au diable et a ses compaignons (50).
Peses ces paroles si
pesantes. Alles, dit
il : c'est un mot d'abandonnement perpetuel que Dieu fait de telz malheureux,
les
bannissant pour jamais
de sa face. Il les appelle mauditz : o mon ame, quelle malediction ! Malediction
generale, qui comprend
tous les maux ; malediction irrevocable qui comprend tous les tems et l'eternité.
Il
adjouste, au feu eternel
:regarde, o mon coeur, cette grande eternité. O eternelle eternité
des peynes, que
tu es effroyable !
7. Consideres la sentence
contraire des bons: Venes, dit le Juge ; ah, c'est le mot aggreable de
salut par
lequel Dieu nous tire
a soy et nous reçoit dans le giron de sa bonté ; benis de
mon Pere : o chere
benediction, qui comprend
toute benediction ! possedés le royaume qui vous est preparé
des la
constitution du monde(51).
O Dieu, quelle grace, car ce royaume n'aura jamais fin!
Affections et resolutions
. 1.Tremble, o mon
ame, a ce souvenir. O Dieu, qui me peut asseurer pour cette journee, en
laquelle les
colomnes du ciel trembleront
de frayeur(52) ?
2. Detestés vos pechés, qui seulz vous peuvent perdre en cette journee espouvantable.
3. Ah, je me veux juger
moy-mesme maintenant, affin que je ne sois pas jugee (53); je veux examiner
ma
conscience et me condamner,
m'accuser et me corriger, affin que le Juge ne me condamne en ce jour
redoutable je me confesseray
donq, j'accepteray les advis necessaires, etc.
Conclusion
I. Remercies Dieu qui vous a donné moyen de vous asseurer pour ce jour-la, et le tems de faire penitence.
2.Offres-luy vostre coeur pour la faire.
3. Pries-le qu'il vous face la grace de vous en bien acquitter.
Pater noster, Ave.
Faites un bouquet
CHAPITRE XV
Meditation 7
DE L'ENFER
Preparation
1. Mettes-vous en la presence divine.
2. Humilies-vous et demandes son assistance.
3. Imagines-vous une
ville tenebreuse, toute bruslante de soufre et de poix puante, pleynede
citoyens qui
n'en peuvent sortir.
Considerations
1. Les damnés
sont dedans l'abisme infernal comme dedans cette ville infortunee, en 1aquelle
ilz souffrent
des tourmens indicibles
en tous leurs sens et en tous leurs membres, parce que, comme ilz ont employé
tous leurs sens et
leurs membres pour pecher, ainsy souffriront ilz en tous leurs membres
et en tous leurs
sens les peynes deues
au peché : les yeux, pour leurs faux et mauvais regards, souffriront
l'horrible vision
des diables et de
l'enfer ; les oreilles, pour avoir prins playsir aux discours vicieux,
n'ouïront jamais que
pleurs, lamentations
et desespoirs; et ainsy des autres.
2. Outre tous ces tourmens,
il y en a encor un plus grand, qui est la privation et perte de la gloire
de Dieu,
laquelle ilz sont
forclos de jamais voir. Que si Absalon treuva que la privation de la face
amiable de son
pere David estoit
plus ennuyeuse que son exil (54), o Dieu, quel regret d'estre a jamais
privé de voir
vostre doux et suave
visage !
3. Considerés
sur tout l'eternité de ces peynes, laquelle seule rend l'enfer insupportable.
Helas, si une puce
en nostre oreille,
si la chaleur d'une petite fievre nous rend une courte nuit si longue et
ennuyeuse,
combien sera espouvantable
la nuit de l'eternité avec tant de tourmens ! De cette eternité,
naissent le
desespoir eternel,
les blasphemes et rages infinies.
Affections et resolutions
1. 1.Espouvantés
vostre ame par les paroles d'Isaïe (55) : O mon ame, pourrois-tu bien
vivre
eternellement avec
ces ardeurs perdurables et emmi ce feu devorant ? veux-tu bien quitter
ton Dieu pour
jamais ?
2. Confessés
que vous l'aves merité, mays combien de fois ! Or, des-ormais je
veux prendre parti au
chemin contraire ;
pourquoy descendrois-je en cet abisme ?
3. Je feray donques tel et tel effort pour eviter le peché, qui seul me peut donner cette mort eternelle.
Remercies, offres,
pries.
CHAPITRE XVI
Meditation 8
DU PARADIS
1. Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Faites l'invocation.
Considerations
1. Consideres une belle
nuit bien sereine, et penses combien il fait bon voir le ciel avec cette
multitude et
varieté d'estoiles.
Or, joignés maintenant cette beauté avec celle d'un beau
jour, en sorte que la clarté du
soleil n'empesche
point la claire veuë des estoiles ni de la lune; et puis apres, dites
hardiment que toute
cette beauté
mise ensemble n'est rien au prix de l'excellence du grand Paradis. O que
ce lieu est desirable
et amiable, que cette
cité est pretieuse!
2. Consideres la noblesse,
la beauté et la multitude des citoyens et habitans de cet heureux
païs : ces
millions de millions
d'Anges, de Cherubins et Seraphins, cette troupe d'Apostres, de Martyrs,
de
Confesseurs, de Vierges,
de saintes Dames ; la multitude est innumerable.
O que cette compagnieest
heureuse ! Le moindre de tous est plus beau a voir que tout le monde ;
que
sera-ce de les voir
tous ? Mais, mon Dieu, qu'ilz sont heureux : tous-jours ilz chantent le
doux cantique de
l'amour eternel ;
tous-jours ilz jouissent d'une constante allegresse ; ilz s'entredonnent
les uns aux autres
des contentemens indicibles
, et vivent en la consolation d'une heureuse et indissoluble societé.
3. Consideres en fin
quel bien ilz ont tous de jouir de Dieu qui les gratifie pour jamais de
son amiable
regard, et par iceluy
respand dedans leurs coeurs un abisme de delices. Quel bien d'estre a jamais
uni a
son Principe ! Ilz
sont la comme des heureux oyseaux, qui volent et chantent a jamais dedans
l'air de la
Divinité qui
les environne de toutes parts de playsirs incroyables ; la, chacun a qui
mieux mieux, et sans
envie(56), chante
les loüanges du Createur. Beny soyes vous a jamais, o nostre doux
et souverain
Createur et Sauveur,
qui nous estes si bon, et nous communiqués si liberalement vostre
gloire. Et
reciproquement, Dieu
benit d'une benediction perpetuelle tous ses Saintz : Benites soyes vous
a jamais, dit
il, mes cheres creatures,
qui m 'aves servi et qui me loüerés eternellement avec si grand
amour et courage.
Affections et resolutions
1. Admirés
et loüés cette patrie celeste. O que vous estes belle, ma chere
Hierusalem, et que bienheureux
sont vos habitans !
2. Reproches a vostre
coeur le peu de courage qu'il a eu jusques a present, de s'estre tant destourné
du
chemin de cette glorieuse
demeure. Pourquoy me suis-je tant esloignee de mon souverain bonheur ?
Ah,
miserable, pour ces
playsirs si desplaysans et legers, j'ay mille et mille fois quitté
ces eternelles et infinies
delices. Quel esprit
avois-je de mespriser des biens si desirables, pour des desirs si vains
et mesprisables ?
3. Aspires neanmoins
avec vehemence a ce sejour tant delicieux. O puisqu'il vous a pIeu, mon
bon et
souverain Seigneur,
redresser mes pas en vos voyes, non, jamais
plus je ne retourneray
en arriere. Allons, o ma chere ame, allons en ce repos infini, cheminons
a cette
benite terre qui nous
est promise; que faisons-nous en cett' Egypte?
4. Je m'empescheray donq de telles choses, qui me destournent ou retardent de ce chemin.
5. Je feray donq telles et telles choses qui m'y peuvent conduire.
Remercies, offres,
pries.
CHAPITRE XVII
Meditation 9
PAR MANIERE D'ELECTION
ET CHOIX DU PARADIS
Preparation
1. Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Humilies-vous devant
luy, priant qu'il vous inspire.
Considerations
Imaginés vous
d'estre en une rase campagne, toute seule avec vostre bon Ange, comme estoit
le jeune
Tobie allant en Rages,
et qu'il vous fait voir en haut le Paradis ouvert, avec les playsirs representés
en la
meditation du Paradis
que vous aves faitte; puis, du costé d'en bas, il vous fait voir
l'enfer ouvert, avec
tous les tourmens
descritz en la meditation de l'enfer. Vous estant colloquee ainsy par imagination,
et mise
a genoux devant vostre
bon Ange
1.Consideres qu'il
est tres vray que vous estes au milieu du Paradis et de l'enfer, et que
l'un et l'autre est
ouvert pour vous recevoir,
selon le choix que vous en ferés.
2.Consideres que le choix que l'on fait de l'un ou de l'autre en ce monde, durera eternellement en l'autre.
3. Et encores que l'un
et l'autre soit ouvert pour vous recevoir, selon que vous le choisirés,
si est-ce que
Dieu, qui est appareillé
de vous donner, ou l'un par sa justice ou l'autre par sa misericorde, desire
neanmoins d'un desir
nompareil que vous choisissies le Paradis ; et vostre bon Ange vous en
presse de
tout son pouvoir,
vous offrant de la part de Dieu mille graces et mille secours pour vous
ayder a la
montee.
4. Jesus Christ, du
haut du Ciel, vous regarde en sa debonnaireté et vous invite doucement
: Viens, o ma
chere ame, au repos
eternel entre les bras de ma bonté, qui t'a preparé les delices
immortelles en
l'abondance de son
amour. Voyes de vos yeux interieurs la Sainte Vierge qui vous convie maternellement
:
Courage, ina fille,
ne veuille pas mespriser les desirs de mon Filz, ni tant de Souspirs que
je jette pour toy,
respirant avec luy
ton salut eternel. Voyes les Saintz qui vous exhortent, et un million de
saintes ames qui
vous convient doucement,
ne desirans que de voir un jour vostre coeur joint au leur, pour loüer
Dieu a
jamais, et vous asseurans
que le chemin du Ciel n'est point si malaysé que le monde le fait:
Hardiment,
vous disent elles,
treschere amie; qui considerera bien le chemin de la devotion par lequel
nous sommes
montees, il verra
que nous sommes venues en ces delices, par des delices incomparablement
plus
souëfves que
celles du monde.
Election
1. O enfer, je
te deteste maintenant et eternellement; je deteste tes tourmens et tes
peynes ; je deteste ton
infortunee
et malheureuse eternité, et sur tout ces eternelz blasphemes et
maledictions que tu vomis
eternellement
contre mon Dieu. Et retournant mon coeur et mon ame de ton costé,
o beau Paradis, gloire
eternelle, felicité
perdurable, je choisis a jamais irrevocablement mon domicile et mon sejour
dedans tes
belles et sacrees maysons, et en tes saintz et desirables tabernacles.
Je benis, o mon Dieu, vostre
misericorde,
et accepte l'offre qu'il vous plait de m'en faire. O Jesus, mon Sauveur,
j'accepte vostre
amour eternel, et advouë l'acquisition que vous aves faite pour moy
d'une place et logis en cette
bienheureuse
Hierusalem, non tant pour aucune autre chose, comme pour vous aymer et
benir a jamais.
2. Acceptes les faveurs
que la Vierge et les Saintz vous presentent; promettes leur que vous vous
achemineres a eux
; tendes la main a vostre bon Ange affin qu'il vous y conduise; encourages
vostre ame
a ce choix.
CHAPITRE XVIII
Meditation 10
PAR MANIERE D'ELECTION
ET CHOIX QUE L'AME FAIT DE LA VIE DEVOTE
Preparation
1.Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Abaisses-vous devant
sa face ; requeres son ayde.
Considerations
1. Imagines-vous d'estre
derechef en une rase campagne, avec vostre bon Ange toute seule, et a costé
gauche, vous voyes
le diable assis sur un grand throsne haut eslevé, avec plusieurs
des espritz infernaux
aupres de luy, et
tout autour de luy, une grande troupe de mondains qui tous a teste nuë
le reconnoissent
et luy font hommage,
les uns par un peché, les autres par un autre. Voyes la contenance
de tous les
infortunés
courtisans de cet abominable roy : regardés les uns furieux de haine,
d'envie et de cholere ; les
autres qui s'entre-tuent
; les autres haves, pensifz et empressés a faire des richesses ;
les autres attentifz a
la vanité,
sans aucune sorte de playsir qui ne soit inutile et vain ; les autres vilains,
perdus, pourris en leurs
brutales affections.
Voyes comme ilz sont tous sans repos, sans ordre et sans contenance ; voyes
comme
ilz se mesprisent
les uns les autres et comme ilz ne s'ayment que par des faux semblans.
En fin, vous
verres une calamiteuse
republique, tyrannisee de ce roy maudit, qui vous fera compassion.
2. Du costé
droit, voyes Jesus Christ crucifié, qui, avec un amour cordial,
prie pour ces pauvres endiablés,
affin qu'ilz sortent
de cette tyrannie, et qui les appelle a soy ; voyes une grande troupe de
devotz qui sont
autour de luy avec
leurs Anges. Contemplés la beauté de ce royaume de devotion.
Qu'il fait beau voir
cette troupe de vierges,
hommes et femmes, plus blanche que le lys, cette assemblee de vefves, pleines
d'une sacree mortification
et humilité! Voyes le rang de plusieurs personnes mariees qui vivent
si
doucement ensemble
avec respect mutuel, qui ne peut estre sans une grande charité :
voyes comme ces
devotes ames marient
le soin de leur mayson exterieure avec le soin de l'interieure, l'amour
du mari avec
celuy de l'Espoux
celeste. Regardes generalement par tout, vous les verres tous en une contenance
sainte,
douce, amiable, qu'ilz
escoutent Nostre Seigneur, et tous le voudroyent planter au milieu de leur
coeur. Ilz
se resjouissent, mais
d'une joye gracieuse, charitable et bien reglee ; ilz s'entr'ayment, mais
d'un amour
sacré et tres
pur.
Ceux qui ont des afflictions
en ce peuple devot, ne se tourmentent pas beaucoup et n'en perdent point
contenance. Bref,
voyes les yeux du Sauveur qui les console, et que tous ensemblement aspirent
a luy.
3.Vous aves meshui
quitté Satan avec sa triste et malheureuse troupe, par les bonnes
affections que vous
aves conceuës,
et neanmoins vous n'estes pas encor arrivee au Roy Jesus, ni jointe a son
heureuse et
sainte compaignie
de devotz, ains vous aves esté tous-jours entre l'un et l'autre.
4.La Vierge Sainte
avec saint Joseph, saint Louys, sainte Monique, et cent mille autres qui
sont en
l'escadron de ceux
qui ont vescu emmi le monde, vous invitent et encouragent.
5. Le Roy crucifié
vous appelle par vostre nom propre : Venes, o ma bien aymee, venes affin
que je vous
couronne
(57)
Election
1. O monde, o troupe
abominable, non, jamais vous ne me verrés sous vostre drapeau :
j 'ay quitté pour
jamais vos forceneries
et vanités. Roy d'orgueil, o roy de malheur, esprit infernal, je
te renonce avec
toutes tes vaynes
pompes ; je te deteste avec toutes tes oeuvres.
2. Et me convertissant
a vous, mon doux Jesus, Roy de bonheur et de gloire eternelle, je vous
embrasse
de toutes les forces
de mon ame, je vous adore de tout mon coeur, je vous choisis, maintenant
et pour
jamais, pour mon Roy,
et (58) par mon inviolable fidelité je vous fais un hommage irrevocable
; je me
sousmetz a l'obeissance
de vos saintes lois et ordonnances.
3. O Vierge Sainte,
ma chere Dame, je vous choisis pour ma guide, je me rends sous vostre enseigne,
je
vous offre un particulier
respect et une reverence speciale. O mon saint Ange, presentes moy a cette
sacree assemblee ;
ne m'abandonnes point jusques a ce que j'arrive avec cette heureuse compaignie,
avec
laquelle je dis et
diray a jamais pour tesmoignage de mon choix : Vive Jesus, vive Jesus.
CHAPITRE XIX
COMME IL FAUT FAIRE LA CONFESSION GENERALE
Voyla donq, ma chere
Philothee, les meditations requises a nostre intention. Quand vous le~
aures faites,
alles courageusement
en esprit d'humilité faire vostre confession generale ; mais, je
vous prie, ne vous
laisses point troubler
par aucune sorte d'apprehension. Le scorpion qui nous a piqués est
veneneux en
nous piquant, mais
estant reduit en huile c'est un grand medicament contre sa propre piqueure
(59) : le
peché n'est
honteux que quand nous le faisons, mais estant converti en confession et
penitence, il est
honnorable et salutaire.
La contrition et confession sont si belles et de si bonne odeur, qu'elles
effacent la
laideur et dissipent
la puanteur du peché. Simon le lepreux disoit que Magdeleine estoit
pecheresse; mays
Nostre Seigneur dit
que non, et ne parle plus sinon des parfums qu'elle respandit et de la
grandeur de sa
charité (60).
Si nous sommes bien humbles, Philothee, nostre peché nous desplaira
infiniment parce que
Dieu en est offencé,
mais l'accusation de nostre peché nous sera douce et aggreable,
parce que Dieu en
est honnoré
: ce nous est une sorte d'allegement de bien dire au medecin le mal qui
nous tourmente.
Quand vous seres arrivee
devant vostre pere spirituel, imaginés-vous d'estre en la montagne
de Calvaire
sous
les pieds de Jesus
Christ crucifié, duquel le sang pretieux distille de toutes partz
pour vous laver de vos
iniquités ;
car, bien que ce ne soit pas le propre sang du Sauveur, c'est neanmoins
le merite de son sang
respandu qui arrouse
abondamment les penitens autour des confessionnaux. Ouvrés donq
bien vostre
coeur pour en faire
sortir les pechés par la confession; car a mesure qu'ilz en sortiront,
le pretieux merite
de la Passion divine
y entrera pour le remplir de benediction.
Mais dites bien tout,
simplement et naïfvement ; contentes bien vostre conscience en cela
pour une bonne
fois. Et cela fait,
escoutes l'advertissement et les ordonnances du serviteur de Dieu, et dites
en vostre
coeur : Parles, Seigneur,
car vostre servante vous escoute *. Ouy, c'est Dieu, Philothee, que vous
escoutes, puisqu'il
a dit a ses vicaires : Qui vous escoute, m'escoute*. Prenes, par apres,
en main la
protestation suivante,
laquelle sert de conclusion a toute vostre contrition et que vous deves
avoir
premierement meditee
et consideree ; lises-la attentivement et avec le plus de ressentiment
qu'il vous sera
possible.
CHAPITRE XX
PROTESTATION
AUTHENTIQUE POUR GRAVER EN L'AME LA RESOLUTION DE SERVIR
DIEU
ET CONCLURE LES ACTES
DE PENITENCE
Je soussignee, constituee
et establie en la presence de Dieu eternel et de toute la cour celeste,
ayant
consideré l'immense
misericorde de sa divine bonté envers moy, tresindigne et chetifve
creature, qu'elle a
creée de rien,
conservee, soustenue, delivree de tant de dangers, et comblee de tant de
bienfaitz ; mais sur
tout ayant consideré
cette incomprehensible douceur et clemence avec laquelle ce tresbon Dieu
m'a si
benignement toleree
en mes iniquités, si souvent et si amiablement inspiree, me conviant
a m'amender, et
si patiemment attendue
a penitence et repentance jusques a cette N. annee de mon aage, nonobstant
toutes mes ingratitudes,
desloyautés et infidelités par lesquelles, differant ma conversion
et mesprisant ses
graces, je 1'ay si
impudemment offencé ; apres avoir encor consideré qu'au jour
de mon sacré Baptesme
je fus si heureusement
et saintement voüee et dediee a mon Dieu pour estre sa fille, et que,
contre la
profession qui fut
alhors faitte en mon nom, j'ay tant et tant de fois si malheureusement
et detestablement
profané et
violé mon esprit, l'appliquant et l'employant contre la divine Majesté;
en fin, revenant
maintenant a moy-mesme,
prosternee de coeur et d'esprit devant le throsne de la justice divine,
je me
reconnois, advouë
et confesse pour legitimement atteinte et convaincue du crime de leze majesté
divine,
et coupable de la
Mort et Passion de Jesus Christ, a rayson des pechés que j'ay commis,
pour lesquelz il
est mort et a souffert
le tourment de la croix, si que je suis digne, par consequent, d'estre
a jamais perdue
et damnee.
Mais me retournant
devers le throsne de l'infinie misericorde de ce mesme Dieu eternel, apres
avoir
detesté de
tout mon coeur et de toutes mes forces les iniquités de ma vie passee
, je demande et requiers
humblement grace et
pardon et merci , avec entiere absolution de mon crime, en vertu de la
Mort et
Passion de ce mesme
Seigneur et Redempteur de mon ame, sur laquelle m'appuyant comme sur l'unique
fondement
de mon esperance, j'advouë
derechef et renouvelle la sacree profession de la fidelité faitte
de ma part a
mon Dieu en mon Baptesme,
renonçant au diable, au monde et a la chair, detestant leurs malheureuses
suggestions, vanités
et concupiscences, pour tout le tems de ma vie presente et de toute l'eternité.
Et me
convertissant a mon
Dieu debonnaire et pitoyable, je desire, propose, delibere et me resous
irrevocablement de
le servir et aymer maintenant et eternellement, luy donnant a ces fins,
dediant et
consacrant mon esprit
avec toutes ses facultés, mon ame avec toutes ses puissances, mon
coeur avec
toutes ses affections,
mon cors avec tous ses sens ; protestant de ne jamais plus abuser d'aucune
partie de
mon estre contre sa
divine volonté et souveraine Majesté, a laquelle je me sacrifie
et immole en esprit,
pour luy estre a jamais
loyale, obeissante et fidelle creature, sans que je veuille onques m'en
desdire ni
repentir. Mais helas,
si par suggestion de l'ennemi ou par quelque infirmité humaine,
il m'arrivoit de
contrevenir en chose
quelconque a cette mienne resolution et consecration, je proteste des maintenant,
et
me propose, moyennant
la grace du Saint Esprit, de m'en relever si tost que je m'en apercevray,
me
convertissant derechef
a la misericorde divine, sans retardation ni dilation quelconque.
Ceci est ma volonté,
mon intention et ma resolution inviolable et irrevocable, laquelle j'advouë
et confirme
sans reserve ni exception,
en la mesme presence sacree de mon Dieu et a la veuë de l'Eglise triomphante,
et en la face de l'Eglise
militante ma Mere, qui entend cette mienne declaration en la personne de
celuy
qui, comme officier
d'icelle, m'escoute en cette action. Plaise vous,
o mon Dieu eternel,
tout puissant et tout bon, Pere, Filz et Saint Esprit,confirmer en moy
cette resolution,
et accepter ce mien
sacrifice cordial et interieur en odeur de suavité ; et comme il
vous a pleu me donner
l'inspiration et volonté
de le faire, donnes-moy aussi la force et la grace requise pour le parfaire.
O mon
Dieu, vous estes mon
Dieu (61), Dieu de mon coeur (62), Dieu de mon ame, Dieu de mon esprit
; ainsy
je vous reconnois
et adore maintenant et pour toute l'eternité. Vive Jesus.
CHAPITRE XXI
CONCLUSION POUR CETTE
PREMIERE PURGATION (63)
Cette protestation
faite, soyes attentive et ouvrés les oreilles de vostre coeur pour
ouïr en esprit la parole
de vostre absolution,
que le Sauveur mesme de vostre ame, assis sur le throsne de sa misericorde,
prononcera la haut
au Ciel devant tous les Anges et les Saintz, a mesme tems qu'en son nom
le prestre
vous absout ici bas
en terre. Si que toute cette troupe des Bienheureux se resjouissant de
vostre bonheur,
chantera le cantique
spirituel d'une allegresse nompareille, et tous donneront le bayser de
paix et de societé
a vostre coeur remis
en grace et sanctifié.
O Dieu, Philothee,
que voyla un contract admirable par lequel vous faites un heureux traitté
avec sa divine
Majesté, puisqu'en
vous donnant vous mesme a elle, vous la gaignés et vous mesme aussi
pour la vie
eternelle ! Il ne
reste plus sinon que, prenant la plume en main, vous signies de bon coeur
l'acte de vostre
protestation, et que
par apres vous allies a l'autel, ou Dieu
reciproquement signera
et scellera vostre absolution et la promesse qu'il vous fera de son Paradis,
se
mettant luy mesme
par son Sacrement comme un cachet et sceau sacré sur vostre coeur
(64) renouvel1é.
En cette sorte, ce
me semble, Philothee, vostre ame sera purgee de peché et de toutes
les affections du
peché.
Mais d'autant que ces
affections renaissent aysement en l'ame, a rayson de nostre infirmité
et de nostre
concupiscence, qui
peut estre mortifiee mais qui ne peut mourir pendant que nous vivons icy
bas en terre,
je vous donneray des
advis lesquelz estans bien prattiqués vous preserveront des-ormais
du peché mortel
et de toutes les affections
d'iceluy, affin que jamais il ne puisse avoir place en vostre coeur. Et
d'autant
que les mesmes advis
servent encor pour une purification plus parfaitte, avant que de les vous
donner, je
vous veux dire quelque
chose de cette plus absolue pureté a laquelle je desire vous conduire.
(65)
CHAPITRE XXII
QU'IL SE FAUT PURGER
DES AFFECTIONS QUE L'ON A AUX PECHÉS VENIELZ
A mesure que le jour
se fait, nous voyons plus clairement dans le mirouër les taches et
souilleures de
nostre visage ; ainsy,
a mesure que la lumiere interieure du Saint Esprit esclaire nos consciences,
nous
voyons
plus distinctement
et plus dairement les pechés, inclinations et imperfections qui
nous peuvent empescher
d'atteindre a la vraye
devotion ; et la mesme lumiere qui nous fait voir ces tares et deschetz,
nous
eschauffe au desir
de nous en nettoyer et purger.
Vous descouvrirés
donq, ma chere Philothee, qu'outre les pechés mortelz et affections
des pechés
mortelz, dont vous
aves esté purgee par les exercices marqués ci devant, vous
aves encores en vostre ame
plusieurs inclinations
et affections aux pechés venielz. Je ne dis pas que vous descouvrirés
des pechés
venielz, mais je dis
que vous descouvrirés des affections et indinations a iceux ; or,
l'un est bien different
de l'autre : car nous
ne pouvons jamais estre du tout purs des pechés venielz, au moins
pour persister long
tems en cette pureté
; mais nous pouvons bien n'avoir aucune affection aux pechés venielz.
Certes, c'est
autre chose de mentir
une fois ou deux de gayeté de coeur en chose de peu d'importance,
et autre chose
de se plaire a mentir
et d'estre affectionné a cette sorte de peché.
Et je dis maintenant
qu'il faut purger son ame de toutes les affections qu'elle a aux pechés
venielz, c'est a
dire qu'il ne faut
point nourrir volontairement la volonté de continuer et perseverer
en aucune sorte de
peché veniel
; car aussi seroit-ce une lascheté trop grande de vouloir, tout
a nostre escient, garder en
nostre conscience
une chose si desplaisante a Dieu comme est la volonté de luy vouloir
desplaire. Le
peché veniel,
pour petit qu'il soit, desplait a Dieu, bien qu'il ne luy desplaise pas
tant que pour iceluy il
nous veuille damner
ou perdre. Que si le peché veniel luy desplait, la volonté
et l'affection que l'on a au
peché veniel
n'est autre chose qu'une resolution de vouloir desplaire a sa divine Majesté.
Est-il bien
possible qu'une ame
bien nee veuille non seulement desplaire a son Dieu, mais affectionner
de luy
desplaire ?
Ces affections, Philothee,
sont directement contraires a la devotion, comme les affections au peché
mortel
le sont a la charité
: elles allanguissent les forces de l'esprit, empeschent les consolations
divines, ouvrent
la porte aux tentations
; et bien qu'elles ne tuent pas l'ame, elles la rendent extremement malade.
Les
mouches mourantes,
dit le Sage(66), perdent et gastent la suavité de l'onguent : il
veut dire que les
mouches, ne s'arrestans
gueres sur l'onguent, mais le mangeans en passant, ne gastent que ce qu'elles
prennent, le reste
demeurant en son entier; mais quand elles meurent emmi l'onguent, elles
luy ostent son
prix et le mettent
a desdain. Et de mesme, les pechés venielz, arrivans en une ame
devote et ne s'y
arrestans pas long
tems, ne l'endommagent pas beaucoup ; mais si ces mesmes pechés
demeurent dans
l'ame pour l'affection
qu'elle y met, ilz luy font perdre sans doute la suavité de l'onguent,
c'est a dire la
sainte devotion.
Les araignes ne tuent
pas les abeilles, mais elles gastent et corrompent leur miel, et embarrassent
leurs
rayons des toiles
qu'elles y font, en sorte que les abeilles ne peuvent plus faire leur mesnage
; et cela
s'entend quand elles
y font du sejour. Ainsy le peché veniel ne tue pas nostre ame, rnais
il gaste pourtant
la devotion, et embarrasse
si fort de mauvaises habitudes et inclinations les puissances de l'ame,
qu'elle ne
peut plus exercer
la promptitude de la charité, en laquelle gist la devotion ; mais
cela s'entend quand le
peché veniel
sejourne en nostre conscience par l'affection que nous y mettons. Ce n'est
rien, Philothee, de
dire quelque petit
mensonge, de se desregler un peu en paroles, en actions, en regards, en
habitz, en
jolietés, en
jeux, en danses, pourveu que tout aussi tost que ces araignes spirituelles
sont entrees en nostre
conscience, nous les
en rechassions et bannissions, comme les mouches a miel font les araignes
corporelles. Mais
si nous leur permettons d'arrester dans nos coeurs, et non seulement cela,
mais que
nous nous affectionnions
a les y retenir et multiplier, bien tost nous verrons nostre miel perdu,
et la ruche
de nostre conscience
empestee et desfaitte. Mais je dis encor une fois, quelle apparence y a-il
qu'une ame
genereuse se plaise
a desplaire a son Dieu, s'affectionne a luy estre desaggreable, et veuille
vouloir ce
qu'elle sçait
luy estre ennuyeux ?
CHAPITRE XXIII
QU'IL SE FAUT PURGER DE L'AFFECTION
AUX CHOSES INUTILES ET DANGEREUSES
Les jeux,
les balz, les festins, les pompes, les comedies, en leur substance ne sont
nullement choses
mauvaises ains
indifferentes, pouvans estre bien et mal exercees; tous-jours neanmoins
ces choses-la sont
dangereuses,
et de s'y affectionner, cela est encor plus dangereux. Je dis donq, Philothee,
qu'encor qu'il
soit loysible
de joüer, danser, se parer, ouïr des honnestes comedies, banqueter,
si est-ce que d'avoir de
l'affection a cela,
c'est chose contraire a la devotion et extremement nuisible et perilleuse.
Ce n'est pas mal
de le faire,
mais ouy bien de s'y affectionner. C'est dommage de semer en la terre de
nostre coeur des
affections
si vaines et sottes : cela occupe le lieu des bonnes impressions, et empesche
que le suc de
nostre ame ne soit employé es bonnes inclinations.
Ainsy les anciens Nazariens
s' abstenoyent non seulement de tout ce qui pouvoit enivrer, mais aussi
des
raisins et du verjus
(67) ; non point que le raisin et le verjus enivre, mais parce qu'il y
avoit danger en
mangeant du verjus
d'exciter le desir de manger des raisins, et en mangeant des raisins, de
provoquer
l'appetit a boire
du moust et du vin. Or, je ne dis pas que nous ne puissions user de ces
choses
dangereuses ; mais
je dis bien pourtant que nous ne pouvons jamais y mettre de l'affection
sans interèsser
la devotion. Les cerfz
ayans prins trop de venaison s'escartent et retirent dedans leurs buissons,
connoissans que leur
graisse les charge en sorte qu'ilz ne sont pas habiles a courir, si d'adventure
ilz
estoyent attaqués
: le coeur de l'homme se chargeant de ces affections inutiles, superflues
et dangereuses,
ne peut sans doute
promptement, aysement et facilement courir apres son Dieu, qui est le vray
point de la
devotion. tes petitz
enfans s'affectionnent et s'eschauffent apres les papillons ; nul ne le
treuve mauvais,
parce qu'ilz sont
enfans. Mais n'est-ce pas une chose ridicule, ains plustost lamentable,
de voir des
hommes faitz s'empresser
et s'affectionner apres des bagatelles si indignes, comme sont les choses
que
j'ay nommees, lesquelles,
outre leur inutilité, nous mettent en peril de nous desregler et
desordonner a leur
poursuitte ? C'est
pourquoy, ma chere Philothee, je vous dis qu'il se faut purger de ces affections
; et,
bien que les actes
ne soient pas tous-jours contraires a la devotion, les affections neanmoins
luy sont
tous-jours dommageables.
CHAPITRE XXIV
QU'IL SE FAUT PURGER DES MAUVAISES
INCLINATIONS
Nous avons encores,
Philothee, certaines inclinations naturelles lesquelles, pour n'avoir prins
leur origine
de nos pechés
particuliers, ne sont pas proprement peché, ni mortel ni veniel,
mais s'appellent
imperfections, et
leurs actes, defautz et manquemens. Par exemple, sainte Paule, selon le
recit de saint
Hierosme (68), avoit
une grande inclination aux tristesses et regretz, si qu'en la mort de ses
enfans et de
son mari elle courut
tousjours fortune de mourir de desplaysir : cela estoit une imperfection
et non point
un peché, puisque
c'estoit contre son gré et sa volonté. Il y en a qui de leurs
naturelz sont legers, les
autres rebarbatifz,
les autres durs a recevoir les opinions d'autruy, les autres sont inclinés
a l'indignation,
les autres a la cholere,
les autres a l'amour ; et en somme, il se treuve peu de personnes esquelles
on ne
puisse remarquer quelques
sortes de telles imperfections. Or, quoy qu'elles soyent comme propres
et
naturelles a un chacun,
si est-ce que par le soin et affection contraire on les peut corriger et
moderer, et
mesme on peut s'en
delivrer et purger : et je vous dis, Philothee, qu'il le faut faire. On
a bien treuvé le
moyen de changer les
amandiers amers en amandiers doux, en les perçant seulement au pied
pour en faire
sortir le suc (69);
pourquoy est-ce que nous ne pourrons pas faire sortir nos inclinations
perverses pour
devenir meilleurs
? Il n'y a point de si bon naturel qui ne puisse estre rendu mauvais par
les habitudes
vicieuses; il n'y
a point aussi de naturel si revesche qui, par la grace de Dieu premierement,
puis par
l'industrie et diligence,
ne puisse estre dompté et surmonté. Je m'en vay donq maintenant
donner des
advis et proposer
des exercices par le moyen desquelz vous purgerés vostre ame des
(70) affections
dangereuses, des imperfections
et de toutes affections aux pechés venielz, et si asseurerés
de plus en plus
vostre conscience
contre tout peché mortel. Dieu vous face la grace de les bien prattiquer.
1. Nb 13,33
2. - Nb 14,7
3. - Mt 11,28
4. - Gn 28,12
5. - Gn 1,11
6. - Variante : [au tracas desaffaires comme l'advocat] exposé en toutes sortes...
7. - De Hist anim. 5,22
8. - Variante: royaux
et ducaux. (Dans le Ms., le nom de saint Edouard précède
celui du bienheureux
Amé).
9. - Homil. in Ez 1,9 §22
10. - Tb 5,2
11. -Jean d'Avila (le
Vénérable), prêtre espagnol, " l'Apôtre de l'Andalousie
(1500-1569). Esposicion del
verso: Audi,filia,
et vide, etc. 1556 (c.55) et Avis pour vivre chrétiennement
12. - On lit Catherine
de Cordoue dans tous les textes de l'Introduction a la Vie Devote antérieure
à
celui-ci, ce qui est
une erreur facile à constater, car le trait auquel il est fait allusion
est relaté dans toutes
les plus anciennes
éditions des oeuvres de sainte Térèse, aux Additions
de sa Vie écrite par elle-même. Il
est vrai que, dès
le milieu du XVIIe siècle, on a remplacé le nom de Catherine
de Cardone par cette vague
désignation
: " une personne pieuse. " La traduction française publiée
par Migne (Paris, 1840 - 1845)
altère davantage
encore le texte espagnol, en indiquant faussement " une religieuse. "
La vraie leçon
a été rétablie par don V. de la Fuente, dans les Escritos
de Santa Teresia (Madrid,
Rivadeneira, 1861-62).
C'est dans cette publication que les Additions, réunies à
d'autres pièces, forment
pour la première
fois un traité à part, intitulé Libro de las Relaciones.
Sainte Térèse parle encore de
Catherine de Cardone
au Livre des Fondations, cbap.
xxviii.
13. - Relacion 3
14. - Voir Partie III, chap.XI
15. - Tract.IV. La
fin de cet alinéa ne se trouve pas dans le Ms., mais uun signe de
renvoi semble indiquer
l'intention du saint
Auteur de faire une addition à cet endroit.
16. - Joinville, Hist de saint Loys, c.ult.
17. - Qo 6,14
18. - note 42
19. - note 36
20. - Ct 2,12
21. - Dt 21,12
22. - Ep 4,22
23. -Pr 4,18
24. - Ps 126,3
25. - Ps 1,3
26. -Variante : " or, ce n'est pas leur consentir que de recevoir des incommodités d'icelles." (Ms.-A-B)
27. - Ps 54,9
28. - Grenade (Louis de), Dominicain espagnol (1505-1588). Mémorial de la vie chrétienne (Traité Il).
29. -Bruno Vincent
, Jésuite italien (1532~I594). Trattato del Sacramento della Penitenza,
con l'esame
della confessione
generale, etc. Venezia, Gioliti, 1585.
30. -Arias Prançois,
Jésuite espagnol (1533-1605). L'usance de la Confession...translatée
par un Pere de
la mesme Societé.
Anvers, Trognese, 1601.
31. - Auger Ernoud,
Jésuite français (1530-1591). La maniere d'ouyr la Messe...
Item, un formulaire de
bien confesser ses
pechez, etc. Lyon, Michel Jove, 1571.
32. - Nb 11,4
33. - Gn 19,26
34. - Variante: Or, le premier moyen et fondement de (Ms.-AB-C)
35. - Ps 118, 104 et 128
36. - Ps 102,5
37. - Le chapitre se termine ici dans le Ms tet dans l'édition A.
38. -Variante: les remascherés et ruminerés (B).
39. - Ps 38,7
40. - Ps 8,5
41. - Ps 89,3
42. - Ps 137, 8
43. - Si 10,9
44. - Ps 102,1
45. - Ps 85,5
46. - Ps 8,5
47. - Ps 61,1
48. - Ps 39,13
49. - Lc 21,26
50. - Mt 25,41
51. - id 34
52. - Jb 26,11
53. - 1 Co 11,31
54. - 2 R 14,32
55. - Es 33,14. Les
éditions antérieures à celle de 1652 attribuent à
Job ces paroles d'Isaïe. On a cru
devoir rectifier cette
méprise, tout en faisant remarquer que la pensée exprimée
par le Saint se retrouve
également dans
le Livre de Job (cap. xx, vers. 26).
56. - Variante : ennui
57. - Ct 4,8
58. - Variante : et pour mon unique Prince ; je vous offre
59. - Mattioli , in Dioscorid. 6,8
60. - Lc 7,39
61. - Ps 15,1
62. - Ps 72,25
63. - Variante : CONCLUSION
DE CETTE PREMIERE PARTIE, ET DEVOTE FACON DE
RECEVOIR L'ABSOLUTION
(Ms A). C'est par méprise que, dans l'édition A, l'on attribue
à ce chapitre
le même titre
qu'il porte dans l'Edition Princeps, où il est effectivement le
dernier de la première Partie,
tandis que dans les
éditions postérieures trois autres chapitres sont placés
à la suite de celui-ci.
64. - Ct 8,6
65. - Suivent ici dans
le Ms. les deux chapitres qui, dans l'Edition Princeps, commencent la seconde
Partie; un signe de
renvoi indique l'ordre que le Saint a définitivement adopté.
66. - Qo 10,1
67. - Nb 6,3
68. - Ep.108, ad Eustoch. Epitaph. Paulae, § 20.
69. -Pline Hist. Nat.17,27
70. - Variante : des
pechés venielz, des affections dangereuses et des imperfections
(Ms.-A-B)