Dossier Toodè
 15 octobre 2006

 Réalisé par
Marie Hélène L 

 

 

 

 

 

Sommaire du Dossier

Ils sont "dehors" ou "dedans"
ils parlent de la vie ...

Interview d'un prêtre aumônier de Prison.
Pourquoi cette mission ? Choix ou réponse à un appel ?

Témoignage de Anne d'une équipe de visiteurs d'aumônerie de prison. Prison… un monde, tout un monde que l’on regarde de loin…

Entretiens avec des détenus... Qu’est ce que vous auriez le plus envie de nous dire, de nous transmettre à nous, ceux du dehors ...

Témoignage : enseigner en prison. Depuis  septembre 2004, j’ enseigne au centre scolaire de la prison de St Quentin Fallavier.

Diacre en Prison. C’est bien avant mon ordination diaconale en 1995 que j’ai été sensibilisé aux problèmes des prisons...


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Interview d'un prêtre aumônier de Prison.

Pourquoi cette mission ? Choix ou réponse à un appel ?

Le Père Gros ayant arrêté sa mission à la prison, l’équipe d’aumônerie a demandé des prêtres pour la célébration du dimanche. La réponse de la Communauté, dans laquelle je vis, a été favorable et pour l’organisation du travail d’équipe, il semblait préférable qu’un seul soit impliqué. Pour des raisons de disponibilité, ce fut moi.
J’ai donc assuré une célébration par mois le dimanche matin.
Ensuite, l’équipe d’aumônerie et le diocèse m’ont demandé d’aller rencontrer les détenus dans les cellules. J’ai répondu « oui, si je supporte le bruit », car le milieu de la détention est un lieu très bruyant, « et si je suis apte ». Ce oui a été vécu et est toujours vécu « avec craintes et tremblements ». Au final, neuf mois se sont écoulés entre la demande et la réponse.

Quelle est la place de l’aumônier auprès des détenus ?

J’ai eu la chance de faire mes premiers pas dans la détention avec Christian Delors, pasteur de l’Eglise réformée, qui m’avait d’ailleurs également initié pour les célébrations. Il m’a donné de comprendre que la prison n’était pas un obstacle à la rencontre, qu’il n’y avait aucune difficulté à être dedans comme dehors et dehors comme dedans.
L’aumônier est un espace de liberté pour les détenus. Il est seul à pouvoir être rencontré seul à seul, sans aucune répercussion sur le monde judiciaire ou de la détention. Mais la rencontre est d’abord celle d’un homme avec un autre homme ; un homme à qui on peut toucher, serrer la main, un homme dont on dit le nom et par qui on s’entend appeler par son nom, un homme, même si c’est lui qui ouvre la porte de la cellule, chose pas facile, que l’on reçoit « chez soi », avec qui on va pouvoir boire un café, partager un verre d’eau.
L’aumônier est la personne à qui on peut parler de sa famille, de son histoire, de ce que l'on ne peut pas confier au codétenu. L'aumônier est la personne avec qui peut être abordé la question du pardon, la question de tout ce qui embarrasse la vie et dont on voudrait se décharger.
L'aumônier est le lieu d’un sourire, d'une bouffée d'air libre, un temps de détente, de recréation.

Qu’est ce que cela t’apporte ?
Cette présence à l'aumônerie des prisons apprend tout d'abord à être régulier dans les rencontres. Je sais qu'ils comptent sur moi, que ma présence est importante pour eux. Ces rencontres avec les détenus donnent de découvrir l'humanité, avec bien sûr un regard sur le mal, mais aussi un regard sur le bien. Et c’est ce regard sur le bien qui agrandit la compréhension de la bonne nouvelle.

Quel est le message le plus important que tu voudrais transmettre à « ceux du dehors » ?
Ce qui me semble le plus important est de réaliser, qu'au-delà du commandement de l'amour, Jésus invite à ne pas juger.
Ce non jugement de soi-même, des autres et de Dieu est le plus difficile à vivre. On s'émerveille des rencontres de Jésus et de ce qu'il fait pour l'homme, c’est à cet émerveillement aujourd'hui que cette mission mène. Comment réaliser, au-delà des désagréments que chacun peut connaître, le bonheur de la vie, de l'amitié, de la communion. Quel don extraordinaire nous a été fait de pouvoir accueillir la vie simplement. Délivré de la haine, de la jalousie ou de l'orgueil qui fait que je ne suis pas passé à l'acte du meurtre, du vol, de toutes sortes de crimes, quoi.
Avoir la connaissance d'être fils bien-aimé du père par Jésus est merveilleux. Notre vie pour nous-mêmes et nos prochains puisse mettre en pratique cette bonne nouvelle. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Témoignage de Anne d'une équipe de visiteurs de prions.


Prison… un monde, tout un monde que l’on regarde de loin… sans beaucoup d’intérêt, et pourtant…  Se laisser interpeller, pourquoi faire ?
Par curiosité, par charité, par pitié ? Je n’ai pas suivi ce chemin, je n’aurai pas pu.
Alors, tout simplement, sans excuse, sans protectionnisme, j’ai accepté de me laisser interpeller et sans trop réfléchir, sans trop savoir, j’ai choisi de faire le pas et d’aller jusqu’à eux simplement avec ce que je suis, rien de particulier à donner, juste être soi, être soi et laisser son regard être le même que celui que je pose tous les jours sur ceux que je croise dans la vie au quotidien. (Pour cela je n’ai rencontré aucune difficulté car je dois être ainsi faite !!!)

Il y avait dans ma ville une prison (je dis, il y avait, car elle n’existe plus) et depuis ma tendre enfance, je passais devant tous les jours sans y accorder une importance particulière. Ado, j’avais eu l’occasion d’y rentrer pour une célébration de Noël, aucun souvenir traumatisant, c’était rangé dans un coin de ma tête sans plus de question. Bien des années après, un de mes enfants m’a interpellée suite à une réflexion d’adulte peut-être trop raisonnable ! « Mais vous, adultes, que faites-vous ? » La question était posée et voilà le début du chemin.

J’ai eu la chance en me bougeant un peu de rencontrer un couple de visiteurs, une JAP[1], un éducateur, qui m’ont permis de réfléchir et d’avancer, ils m’ont donné leur soutien.

Le directeur de prison, lui, je crois qu’il m’attendait au tournant « impossible que ça marche », je souhaitais partager un temps de travail avec les détenus. Et bien oui, ça a marché, il y a presque 20 ans de cela.

Dans cet atelier, on a construit jour après jour un chemin, où ils se découvraient capables de faire, de créer de leurs mains, des petites merveilles. Je n’avais qu’une envie, apporter un peu de soleil, les tirer vers le haut, ne pas les bercer de rêves, ni d’illusions, mais leur prouver qu’ils étaient capables de…, capable d’autre chose que la violence, la haine, le mal sur autrui !

Des handicaps, j’en ai rencontré, des handicapés aussi, dans leur corps mais aussi et surtout dans leur tête et leur cœur.

J’ai donné si peu et reçu tellement, ils m’offraient cette joie qui fait briller un regard.
Eux disaient , « entendre, oui je suis capable », « oui ça me dérange dans le personnage que je me suis créé de dur des durs », peut-être dans le fond qu’ils ne sont pas aussi dur que cela, si on accepte de creuser et creuser encore, de les bousculer, de les déranger.
Dans cet atelier, la compétition n’était pas avec les autres ou avec le voisin, elle était juste avec eux-mêmes, et je vous assure que là est toute la différence.
Recommencer et recommencer sans cesse, rien n’est acquis d’avance et surtout ne jamais croire que c’est définitif, repartir autant de fois que c’est nécessaire, accepter la chute et laisser la porte ouverte (non bien sûr pas celle de la prison, mais celle du cœur). Il y en a bien suffisamment qui sont là pour condamner et juger. Je ne parle pas bien sûr de ceux qui ont souffert par eux, mais bien de tous ceux qui regardent tout cela de loin sans avoir eu jamais le moindre problème.
Il faut savoir attendre patiemment et repartir ensemble pour un bout de chemin.
Souvent on m’a demandé si je n’étais pas déçue... déçue de quoi ?... Non vraiment jamais, ce n’est pas mon regard, ce n’est pas mon approche, je me dis qu’il est impossible de savoir ce que l’autre peut retenir de positif d’un échange, d’une rencontre. On ne le saura jamais, mais ce n’est pas cela l’important, l’important c’est l’autre et sa route à lui.
Nous de l’extérieur, nous avons une place sur ce chemin, et si on le peut, comme on le peut, nous n’avons pas le droit de fermer les yeux. Ne restons pas indifférents, posons-nous quelques questions.
La prison n’est une fatalité pour personne. Difficile de ne pas s’interroger sur les murs qui barrent l’horizon, murs infranchissables d’un côté… comme de l’autre ?
Pourquoi ne pas s’impliquer ou plus simplement tendre l’oreille à ces appels ? Se dire un jour, dans sa vie, moi je fais quoi ? Je dis quoi ? Je vis quoi ? Eux sont-ils si différents de moi, de nous ? Condamner en bloc, sans chercher à comprendre, « il n’y a qu’à…, il n’a qu’à faire comme moi, je m’en suis sorti, pourquoi pas lui ? »
Il faut simplement le vouloir, mais voilà vouloir c’est déjà une autre démarche, un autre regard sur soi. Ces hommes un jour seront libres, libérés de la prison mais pas de leur prison, et c’est là que nous avons à cheminer pour que ce temps d’enfermement soit un temps de prendre le temps de l’écoute, d’ouvrir d’autres chemins, car il est possible de vivre autrement que dans le rejet, dans la violence.
Il suffit quelques fois, souvent, très simplement de croiser un regard qui ne condamne pas mais qui croit en l’autre.
Ne plus faire de la prison un lieu de récidive mais un lieu où il est possible de repenser sa vie autrement. A nous de tenir notre place et celui qui est souvent venu pour donner s’aperçoit très vite, étonné, qu’il reçoit infiniment.
Oui, il y a eu de la joie et de l’amitié partagées, parfois un peu durement, c’est vrai, mais rien ne se construit sans douleur. 

Anne
[1] JAP : juge d’application des peines

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Entretiens avec des détenus...

Qu’est ce que vous auriez le plus envie de nous dire, de nous transmettre à nous, ceux du dehors, par rapport à la présence des aumôniers au sein de la détention ? Qu’est ce que représente pour vous, cette présence ?

Un détenu: Ce que moi j’aurai envie de dire, des aumôniers au sein de la détention, c’est que leur présence est indispensable, puisqu’ils apportent à chaque visite un réconfort, une motivation, mais surtout une écoute.
La présence de certains aumôniers représente pour moi un moment d’échange, de convivialité que j’apprécie un peu comme un parloir.

Un autre détenu : En tout premier lieu… merci ! Merci du fond du cœur pour ces nombreuses heures de présence que vous nous accordez en ces lieux d’enfermement, d’exclusion, de perdition, de promiscuité, de douleurs, d’abandon, de malheurs, de déprime, de violence, d’angoisse…

Votre présence est une sorte de bouffée d’extérieur qui pénètre à l’intérieur, non seulement des cellules, mais aussi des esprits, que ce soit dans le conscient comme dans l’inconscient. L’aumônier est un homme ou une femme à part, puisqu’il ne peut être assimilé au personnel de l’administration. Et cependant, tout comme lui, il peut détenir la clé qui ouvre les cellules, ces lieux particuliers d’habitation. A ce titre, il interpelle et ne laisse pas indifférent, y compris auprès de ceux qui ne croient pas ou plus ou qui sont d’une confession différente.

L’aumônier peut être le confident d’un instant ou simplement un interlocuteur privilégié. Il est celui qui, bénévolement, accepte de consacrer une partie de son temps à écouter, à rassurer, à partager des idées ou un moment.

Que représente pour vous la célébration du dimanche, la présence d’une équipe d’aumônerie pour vivre ce temps avec vous ? Qu’attendez-vous de cette équipe ?

Un détenu : En ce qui me concerne sur le plan des célébrations du samedi, il m’est difficile d’y répondre puisque je ne participe à aucune célébration. Mais il y a de plus en plus de personnes qui participent, donc j’en conclus que les détenus y trouvent un grand intérêt.

Un autre détenu: La célébration du dimanche reste un temps fort dans la semaine. Elle tient une place importante en permettant, grâce à la présence de l’aumônier, mais aussi à celle des accompagnants, de partager un moment de prières, de recueillement, de convivialité.

C’est aussi l’occasion d’échanger la paix du Christ par une poignée de mains. Ce geste qui peut paraître superflu à l’extérieur, revêt une toute autre importance derrière les murs. Se serrer la main entre détenus d’étages différents n’est pas anodin pour qui connaît la discrimination (organisée) existant entre les différentes catégories de délits et de crimes.
C’est également la possibilité, lorsqu’un prêtre officie, d’accueillir le corps du Christ grâce à la communion.
Celui qui est incarcéré perd bien plus que sa simple liberté. Il perd tout ou partie de ceux qu’il aime ou qu’il apprécie parmi sa famille, ses amis. Dans la majorité des cas il perd également ses biens personnels, maison, voiture, meubles, etc.… Il perd aussi son emploi, ses droits civiques, souvent ses droits familiaux. Plus généralement, il perd la considération sociale. L’équipe d’aumônerie permet de retrouver un peu de considération et aide à positiver, en prouvant qu’un détenu n’est ni un banni, ni un proscrit. Etre de nouveau considéré par des personnes de l’extérieur, c’est l’attente de chaque détenu.

Dieu en prison ? Nouveauté, découverte, redécouverte ?
Comment vivre en chrétien en prison ? Qu’est ce que cela apporte : une espérance, une ouverture à l’autre ?

Un détenu : Je me souviens lorsqu’une personne est entrée dans la cellule où je me trouvais et qui s’est présentée. Puis elle a commencé à me parler de Dieu. Cela a été une découverte pour moi car j’ignorais qu’en prison il y aurait des aumôniers.
Je ne suis pas croyant, mais je respecte totalement les personnes qui pratiquent.

Un autre détenu: En ce qui me concerne, Dieu n’est ni une découverte, ni une redécouverte. Cependant, l’incarcération a été pour moi l’occasion d’approfondir mes connaissances grâce aux intervenants, que ce soit à l’occasion des célébrations ou de discussions bibliques. J’ai pris le temps, ce que je n’avais jamais pu faire par le passé, d’étudier plus en détail des textes que je me contentais de lire, sans toujours bien comprendre le véritable sens de ces écrits millénaires.

Vivre en chrétien en prison, ce n’est ni plus facile, ni plus difficile qu’à l’extérieur. C’est une simple question de volonté pour celui qui a compris le sens de la foi et de la morale chrétienne. Etre chrétien derrière les murs, c’est avant tout un comportement, une attention de chaque instant, un œil bienveillant et non critique porté aux hommes. Le respect des autres détenus, mais aussi celui du personnel pénitentiaire reste la principale façon d’aborder chrétiennement la vie carcérale.

Comment se dire chrétien, si l’on ne peut accepter l’autre tel qu’il est ?
Comment se dire disciple du Christ, si l’on ne demeure pas attentif à la souffrance de ceux qui ne peuvent supporter l’enfermement ?
Comment vivre les paroles de Jésus si l’on n’est pas attentif aux détresses morales de certains ?
Comment vivre sa foi sans ressentir de compassion pour ceux qui sont encore plus malheureux ?

La vraie difficulté de vivre chrétiennement en prison provient d’une forte tendance à se replier sur soi, à jalouser l’autre, à se réfugier dans l’égoïsme, à porter de l’indifférence voire à ignorer autrui. Elle passe aussi par la difficulté à supporter le regard et les quolibets, portés par certains détenus de confession différentes ou athées ou qui utilisent ce moyen d’expression pour se prouver qu’ils existent. Et je ne peux oublier les paroles, adressées à Pierre par le Christ au début de sa Passion « avant que le coq ne chante, tu m’auras renié trois fois… »

Vivre en chrétien en prison, c’est aussi l’aide nécessaire et indispensable qui permet de mieux tolérer l’enfermement, la promiscuité, la misère, les privations mais aussi la violence et la haine qui sont parties intégrantes du quotidien. 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Témoignage : enseigner en prison

Depuis  septembre 2004, j’ enseigne au centre scolaire de la prison de St Quentin Fallavier .

 J’avais formé ce projet au contact de jeunes en réinsertion rencontrés au cours de ma carrière d’institutrice . Leur difficulté d’expression  liée à un niveau scolaire très bas m’avait alors frappée.

 En prison, la mission du centre scolaire est de donner aux détenus la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences pour leur offrir une meilleure chance de réinsertion.

 Il s’agit pour eux d’une démarche volontaire, la scolarisation n’étant obligatoire que pour les mineurs .Les motivations sont diverses : désir d’améliorer son niveau, de prendre un peu de distance par rapport à son passé, de réduire sa peine mais aussi de passer un moment hors de sa cellule.

J’interviens une matinée par semaine et m’occupe des étrangers dans un cours d’apprentissage du français . Leur origine et leur niveau sont très variés : certains s’expriment assez bien         ( parlent plusieurs langues ), d’autres sont illettrés ou ne comprennent que quelques mots .
La classe compte au maximum six élèves . Nous travaillons dans une ambiance sereine et un respect mutuel .
J’ai pris rapidement conscience de la souffrance que représente une incarcération . Les maux sont multiples : le physique et le mental sont atteints .
Il y a des jours difficiles : moral au plus bas avant les fêtes , stress des jours qui précèdent le procès , détresse de ce jeune attendant depuis 2 mois une expulsion libératrice et qui abandonne l’école …

Mais il y a aussi des moments de joie ,d’entraide : traduction spontanée pour celui qui ne comprend pas , émotion ressentie par tout le groupe lorsque F. (très dépressif) nous dit avoir sommeil car il a passé la nuit à remonter le moral de son nouveau compagnon de cellule, sourire communicatif de M.(20ans) qui progresse à grands pas après des débuts difficiles et me confie «  c’est la première fois que j’aime l’école » .
Quand je quitte la prison, il me faut toujours du temps pour évacuer ces heures intenses où l’on reçoit autant qu’on donne. Côtoyer la vraie misère ne laisse pas indemne.   J.B .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Diacre en prison

C’est bien avant mon ordination diaconale en 1995 que j’ai été sensibilisé aux problèmes des prisons ; avant de « revenir au pays » en 1990 j’intervenais déjà depuis de nombreuses années à la Centrale de Melun. Aussi lorsque Mgr Dufaux m’a demandé de succéder au P. Paul Gros comme aumônier du Centre Pénitentiaire de St Quentin Fallavier, j’ai accepté cette mission sans discuter répondant ainsi à cet impérieux et incontournable appel de l’Evangile : « j’étais en prison et vous êtes venus me visiter. »

C’est donc dans cet univers particulier que je suis envoyé avec mes deux collègues catholiques, Pierre et Jean-Marie, ainsi que les deux Gérard, protestants, et bientôt j’espère avec un musulman. Chacun est différent mais nous formons une équipe unie, fraternelle et complémentaire.

Ma mission comporte trois axes : les rencontres individuelles, les célébrations du dimanche, les rencontres hebdomadaires du chant choral.

Les rencontres individuelles en cellules me font côtoyer des personnes présumées innocentes en Maison d’Arrêt et des personnes condamnées au Centre de Détention. La phrase de l’Evangile qui me sert de bagage quand j’ouvre une cellule est celle qu’on trouve dans St Marc à propos du jeune homme riche : « Jésus le regarda et l’aima. ». Je ne suis pas l’homme des miracles : les écouter, être à côté d’eux, les rejoindre dans leur souffrance sans oublier en priorité celle des victimes, leur redonner confiance, leur faire prendre conscience qu’ils restent des êtres humains, qu’ils ont droit au respect et à la dignité et que tout n’est pas fichu, voilà le but de mes rencontres ! C’est très modeste et en même temps très exaltant. Il s’agit de dire, en me situant toujours en « frère humain » qui rend visite à un « autre frère humain », cette conviction chrétienne : tout homme est aimé de Dieu et quoiqu’il ait fait il a une valeur infinie et qu’il est une « histoire sacrée ».

Je suis toujours bien accueilli par les détenus et je suis souvent attendu. Celui que je rencontre en cellule n’est pas forcément mon ami mais il est du Seigneur et je sais par ma foi, qu’il y a en lui des possibilités inconnues de tous, y compris de lui-même, mais bien connues du Seigneur. Avec certains que je vois depuis longtemps il y a, au fil des échanges, une véritable amitié entre nous ; mais que de temps et de patience il a fallu pour que naisse une relation de confiance entre nous. Ce n'est que dans ce climat de confiance et d'amitié que tant d'histoires blessées, désespérées et humiliées peuvent cheminer à leur rythme vers la Vérité en passant par la Liberté de la parole. Vérité …Liberté : c’est  ce que cherche à trouver les détenus que je rencontre… mais moi aussi je suis concerné par cette quête car « la Vérité vous rendra libres » nous dit Jésus.

La célébration liturgique du dimanche est un temps privilégié d’accueil de la présence de Dieu, de la révélation de sa miséricorde et de l’offre de son pardon. Chacun est invité à se découvrir aimé et sauvé par Dieu. La salle polyvalente, qui sert de chapelle ce jour là, est un espace de liberté qui permet de faire connaissance, de parler, et surtout d’écouter. Heureusement, l’aumônier n’est pas seul pour répondre à la demande : il est accompagné de bénévoles venus des paroisses avoisinantes qui se sont engagés à consacrer un Dimanche matin par mois à cette étonnante paroisse pleine d’étonnants paroissiens. Ici, encore plus qu’ailleurs, l’envie d’être écouté est une véritable nécessité. Alors il faut se tenir là, près de l’autre, l’oreille grande ouverte, dans une relation de confiance, sans jugement sur l’autre c’est à dire sans curiosité et voyeurisme, sans un regard qui évalue et sanctionne. L’équipe d’aumônerie est là simplement pour accueillir l’autre d’une manière désintéressée, sobre et discrète. Elle est là pour manifester la tendresse de Dieu et ne s’intéresse pas à l’acte commis même si elle doit l’écouter.

Le chant choral du samedi matin est un autre lieu de rencontre, de détente. On est là pour le plaisir de chanter. Ah ! La magie du chant ! Même s’il exige une discipline, il permet la liberté du corps par le « souffle » libérateur. Quel choriste n’a pas senti dans le silence qui prolonge un chant, son corps se détendre dans un bien-être de détachement et de bonheur profond ?

C’est pourquoi cette séance de chant choral est très appréciée. Le quotidien d’un détenu c’est le bruit, la violence, le jugement par un autre sur ce qui l’a amené là. Ici, il trouve au contraire une ambiance paisible. La règle étant le respect mutuel, il ne craint pas d’être agressé ; d’ailleurs le chant choral facilite bien les choses car autour d’une « œuvre » qu’on monte ensemble il y a forcément un esprit d’équipe qui s’installe dans un climat amical et fraternel. « Lorsque les voix s’unissent les cœurs sont bien prêts de se comprendre. »

Certains qui viennent n’avaient jamais chanté. Ils ont été étonnés de découvrir en eux des richesses et des dons cachés de musicien, de poète .Quelle libération !

En somme, l’aumônier que je suis est le signe de la liberté à laquelle toutes les personnes détenues sont appelées quand je les laisse libres de venir chanter le samedi, libres de venir aux célébrations liturgiques du dimanche, libres de me recevoir en cellule, libres de me dire ce qu’ils veulent, des mensonges ou la vérité, libres même d’être violents en paroles… Oui je crois que l’aumônier peut-être un libérateur pour les détenus quand il sait trouver les paroles qui allègent, qui soulagent et qui aident à repartir avec confiance. C’est ce que je m’efforce d’être avec l’aide de Dieu. C’est une bien belle et exaltante mission diaconale !